Algérie : le président Tebboune tente de réanimer son agenda politique

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune est toujours hospitalisé en Allemagne.

Le chef de l’État, en convalescence en Allemagne, veut accélérer l’agenda électoral, mais le temps politique et les ressources humaines manquent.

L’apparition du président algérien Abdelmadjid Tebboune, dimanche 13 décembre, dans une vidéo postée sur Twitter à partir de son lieu de convalescence à Berlin, a suscité beaucoup de réactions en Algérie et des interrogations sur l’avenir politique de la présidence Tebboune.

Si la télévision publique, écartée de la mission de retransmission de l’apparition du président hospitalisé en Allemagne depuis le 28 octobre, a publié sur ses réseaux sociaux les images d’Algériens émus et heureux de revoir leur président (l’image d’une fillette embrassant l’écran de télé qui montre le président, par exemple), une partie de l’opinion est restée sceptique, doutant de la crédibilité du message officiel sur le rétablissement de M. Tebboune. D’autres préfèrent l’humour ou l’ironie. Commentant en direct sur Twitter l’allocution succincte du président, un internaute écrit : « Tonton Tebboune, si tu es pris en otage, cligne d’un œil ! »

Théories du complot et rumeurs

Mais au-delà, c’est d’abord le canal choisi par le président qui interroge. Selon El Watan, « Twitter s’affiche comme un moyen de communication associé à une forme de démocratisation politique et de transparence. C’est aussi et surtout un parfait outil pour contourner les médias traditionnels. Le choix du président, qui a préféré Twitter à l’EPTV [la télévision officielle], pourrait s’inscrire dans cette optique. D’autant qu’une diffusion des images d’un président malade via la télévision algérienne rappellerait, à coup sûr, les tristes épisodes des images de son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika ».

Les Algériens se souviennent de ces images quand Bouteflika accueillait, en 2013, en robe de chambre, son Premier ministre et son chef d’état-major aux Invalides où il suivait une période de convalescence après son AVC. « Le président a un compte certifié qui lui donne un accès rapide et direct à l’opinion nationale et internationale. Pourquoi dépendre toujours de la messe du 20 heures ? » réagit une source officielle, qui rappelle que la communication politique a évolué de par le monde. « Mais quand nous on s’adapte, on crie au complot », poursuit cette source.

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Allusion faite aux rumeurs complotistes qui ont saturé la websphère algérienne avant et après l’apparition du chef de l’État : « On lui a tiré dessus », « le col roulé cache des branchements à beaucoup d’appareils médicaux », « c’est un montage vidéo », etc. « Pour autant, cet effort de communication institutionnelle, bien tardif au demeurant [après 46 jours d’absence du pays], n’empêchera pas la persistance du doute quant au retour de Tebboune aux affaires et sa capacité à poursuivre son mandat », souligne l’éditorial d’El Watan.

L’urgence : une nouvelle loi électorale

Or, l’enjeu est vraiment là et on le détecte aisément quand le président déclara dans cette même vidéo : « Je suis quotidiennement, et parfois heure par heure quand cela est nécessaire, ce qui se passe au pays. Et je donne, quand il le faut, des instructions à la présidence. » Une manière de neutraliser les appels de certaines parties à appliquer les mécanismes d’empêchement pour incapacité à gouverner.

Et c’est dans cette logique que « M. Tebboune reboote le processus politique », pour reprendre une source proche du palais présidentiel. Ce n’est pas l’avis de Mohcine Belabbes, président du RCD (opposition) : « Le discours du chef de l’État est en déphasage avec les urgences du pays et les préoccupations majeures des concitoyens. De fait, il inquiète au lieu de rassurer la population légitimement angoissée par l’incertitude sur le devenir national. »

Dans son message, le président indique avoir « enjoint à la présidence de la République de coordonner avec la commission chargée de l’élaboration du projet de révision de la loi organique relative au régime électoral afin que le document en question soit prêt dans les meilleurs délais, soit dans 10 à 15 jours », en vue de « lancer le processus post-Constitution ». La révision de la loi électorale fait partie de l’agenda tracé depuis une année, au début du mandat de M. Tebboune. Révision qui devait succéder à la réforme constitutionnelle et préparer des législatives et des locales anticipées. La mandature de l’actuel Parlement court jusqu’à mai 2022, alors que le mandat des assemblées locales prend fin en novembre 2022.

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Convocation du corps électoral avant le 31 décembre

La commission chargée de cette révision est la même que celle qui était chargée de la réforme constitutionnelle. Cette réforme a été votée par un référendum, le 1er novembre dernier, un scrutin qui a connu un record historique d’abstention, avec 23,72 % de taux de participation, et qui n’a pas été commenté par le chef de l’État lors de sa récente sortie.

Mais réviser la loi électorale suffira-t-il à insuffler une nouvelle dynamique et une crédibilité aux mécanismes de représentation politique ? Sur le papier, oui, selon les autorités. Mais certains experts en doutent, comme le juriste Amer Rekhila qui, sur les colonnes du quotidien El Khabar, craint que « la révision du Code électoral ne soit que superficielle, laissant le processus électoral soumis aux anciennes logiques ».

Le passage difficile de la révision constitutionnelle (qui attend d’être paraphée par le président) a donc semble-t-il était vite oublié par plusieurs partis politiques qui, dès les annonces de M. Tebboune, ont commencé à se préparer aux prochaines élections.

Le président du parti Jil Jadid (opposition), Soufiane Djilali, a estimé possible la convocation du corps électoral avant le 31 décembre. « Il n’est pas clair si les autorités veulent commencer par organiser des élections locales avant les législatives », commente El Khabar, qui penche pour des locales anticipées pour le début de l’année 2021 : « Cela permettra de se débarrasser de dizaines d’assemblées locales gelées et d’élus poursuivis en justice, mais aussi de faire éclore une nouvelle élite politique et d’intégrer les supporteurs du président dans le jeu politique. »

Des partis prêts pour les élections anticipées

Mais cette option a des limites : les élus locaux ont trop peu de prérogatives face aux fonctionnaires désignés que sont les chefs de daïra et les walis, (sous-préfets et préfets) qui les chapeautent. Lors des élections de mai 2012, la tentative de rajeunir et de renouveler la représentation dans les assemblées communales et wilayales a fait long feu à cause de ces pesanteurs.

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Mais quel que soit le calendrier des législatives et des locales anticipées, des partis se préparent à ces échéances. Le RND, parti du pouvoir – dont l’ancien patron et ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia est en prison alors que son successeur à la tête de ce parti, Azzedine Mihoubi, a été récemment interrogé par la justice pour une affaire de corruption –, se dit prêt à « enrichir » le débat sur la révision de la loi électorale. Même disponibilité chez le MSP (courant Frères musulmans) alors qu’un autre parti islamiste, El Islah, dit se « tenir prêt à servir l’intérêt national ».

Mais pour le FFS (opposition historique), « l’intransigeance de l’autorité à imposer unilatéralement son projet contre la volonté de la majorité du peuple constitue une menace pour la cohésion de la société et contribue davantage à l’émergence d’institutions et d’organes dont la légitimité sera contestée et rejetée par le peuple ».

Le plus vieux parti de l’opposition appelle plutôt à « rassembler les Algériens de toute affiliation politique dans un dialogue national sérieux pour trouver des solutions sérieuses acceptables pour le peuple est impératif, afin de protéger l’Algérie des dangers auxquels elle est confrontée et de construire un État fort avec des institutions légitimes ». « Fondamentalement, toute la difficulté pour le nouveau système de M. Tebboune est d’arriver à créer une nouvelle configuration partisane, en si peu de temps, sur les décombres de l’ancien système Bouteflika », nuance un analyste. « Nous n’avons ni le temps ni les ressources humaines pour aller vers une nouvelle classe politique débarrassée des scories de la corruption, de l’allégeance aveugle et de l’incompétence », poursuit-il.

Source: Le Point Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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