Algérie : le calendrier politique impacté par le coronavirus

Autant le pouvoir que le hirak qui le conteste voient planer des zones d’incertitude en raison des mesures imposées par le Covid-19.

La scène est surréaliste. Ce vendredi 20 mars, le centre-ville d’Alger est vide, contrastant violemment avec les 56 derniers vendredis depuis le 22 février, date du déclenchement du hirak, le mouvement populaire massif qui a fait tomber le système Bouteflika. Rues, boulevards, places et mosquées complètement désertés, où on ne remarque que la présence de nombreux fourgons bleus de la police, ces derniers masqués et mains gantées, parqués le long des axes principaux de la capitale, contemplent une ville morte sous un soleil radieux. La veille, beaucoup s’inquiétaient du sort du hirak, confronté à l’urgence sanitaire. La sortie d’une centaine de personnes à Alger mardi pour manifester pour le traditionnel « mardi des étudiants », malgré le refus des activistes, a choqué une partie de l’opinion qui commençait même à critiquer ces manifestations alors que le monde entier s’orientait vers un confinement de plus en plus strict. Près d’un milliard de personnes sont confinées à travers le monde.

« Interdiction des rassemblements »

« C’est suicidaire, c’est l’antithèse même du hirak qui est un mouvement civique et responsable », réagissaient des activistes et des citoyens face à la tentative de manifestation du mardi. Le lendemain, plusieurs acteurs et « figures » du hirak ont multiplié les appels à suspendre provisoirement les manifestations. « Tout rassemblement ou manifestation dans ces circonstances est un crime qui ne diffère pas beaucoup de l’assassinat. Toute personne qui se fait arrêter ne peut être considérée comme un détenu d’opinion, il ne mérite ni solidarité ni sympathie », a posté sur les réseaux sociaux l’avocat Abdelghani Badi, l’un des plus actifs défenseurs des détenus du hirak. De son côté, le président Tebboune, dans une allocution télévisée mardi soir, avait annoncé « l’interdiction des rassemblements et des marches quelles que soient leur forme et leur nature ». Les médias officiels se sont promptement félicités de l’interruption des manifestations, l’imputant exclusivement aux appels des autorités à stopper les rassemblements publics, alors que des activistes s’offusquaient de ce qu’ils qualifient de « propagande », relevant plutôt le sens de responsabilité du hirak.

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L’Algérie au stade 3

Mais la réalité se situe certainement entre ces deux conceptions : les Algériens, même si des phénomènes d’imprudence persistent (comme le maintien des cérémonies de mariage), commencent réellement à ressentir la gravité de la situation. D’autant que, ce dimanche 22 mars, les autorités ont annoncé que l’Algérie est au stade 3 de la propagation du virus alors que de nouvelles mesures sont entrées en vigueur depuis une heure du matin ce dimanche, notamment les fermetures de tous les cafés et restaurants des grandes villes, la suspension du transport de voyageurs (bus, train et avion) à travers le pays, la démobilisation de 50 % des employés publics, la démobilisation des femmes travailleuses ayant des enfants en bas âge, et la fermeture, dans certaines grandes villes, des commerces autres que ceux alimentaires… Depuis samedi, la police commence à patrouiller le soir dans certaines villes pour inciter les habitants à rester chez eux. « Aller vers le confinement général interviendra très rapidement, mais ne sera annoncé que par le chef de l’État », selon une source officielle. Le ministre du Commerce Kamel Rezig a appelé ce dimanche matin la population à rester chez elle, recommandant le confinement volontaire.

La survie du hirak questionnée

Le bilan officiel, communiqué samedi 21 mars, s’établit à 139 cas confirmés et 15 décès. Dorénavant, 17 wilayas (départements) sont touchés par la propagation. « Le hirak reviendra plus fort » : tel est le mantra des activistes et des nombreux manifestants qui ont marché ces douze derniers mois. L’inquiétude des uns et des autres est de voir le mouvement populaire essoufflé après l’interruption des marches. Certains activistes, à travers le pays, tentent de donner un nouveau souffle au hirak en organisant une campagne de sensibilisation contre la propagation du virus et de solidarité avec un personnel soignant déjà dépassé dans certaines régions. « Nos personnels de santé exercent dans un contexte de grave crise, d’impréparation du système sanitaire et d’incivisme avéré dans la société. Leur engagement et leurs sacrifices appellent notre gratitude et la reconnaissance de la Nation », a tweetté, samedi, l’ancien ministre et ex-ambassadeur Abdelaziz Rahabi, une des figures de l’opposition.

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L’agenda politique du pouvoir contrarié

Côté autorités publiques, c’est tout l’agenda politique du président Tebboune qui se trouve bouleversé. Face à l’urgence sanitaire et à la crise économique qui se profile, très aiguë avec la chute des prix du pétrole, le pouvoir politique a vite fait d’oublier les chantiers politiques annoncés, comme la révision de la Constitution par voie référendaire, l’amendement de la loi électorale ou les législatives anticipées. Ce calendrier s’étalait de l’été à la fin 2020 sur le papier, mais se retrouve sérieusement chamboulé par la grave crise sanitaire actuelle.

Source : Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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