Election présidentielle en Tunisie : les médias seront-ils à la hauteur ?

débats electoraux à la télévision

Depuis la révolution, radios et télévisions apprennent pas à pas l’indépendance face à des politiques et des hommes d’affaires qui détiennent certaines chaînes.

C’est une grande nouveauté et la promesse d’un effort démocratique. Pour la première fois en Tunisie et dans le monde arabe, des débats entre les candidats vont être organisés durant la campagne présidentielle. Fruits d’un partenariat entre la télévision nationale, les chaînes privées et l’association Munathara, trois débats sont programmés les samedi 7, dimanche 8 et lundi 9 septembre. Ils seront retransmis sur 20 chaînes de télé et stations de radio.

Un plateau spécial a été dédié à ce format inédit, inspiré des plateaux télévisés chiliens et des formats éditoriaux mexicains. « Les questions vont être tirées au sort pour les candidats, et eux aussi ont été tirés au sort pour le choix des pools, donc il y aura un vrai défi à relever pour chacun », avance Abdelaziz Touati, directeur de projets à la télévision nationale. Dans une campagne incertaine, ces débats risquent d’être déterminants pour les électeurs, qui pourront pour la première fois entendre des candidats confronter leurs idées. En 2014, Beji Caïd Essebsi n’avait pas accepté un tel face-à-face avec son concurrent Moncef Marzouki.

L’une des questions en suspens reste celle de la participation au débat du candidat Nabil Karoui, actuellement en prison. Il y a eu un précédent similaire au Pérou, où le candidat Gregorio Santos avait participé par téléphone puis avait eu une permission de sortie de dix heures lors du deuxième débat en 2016. La justice tunisienne ne s’est pas encore prononcée, mais Belabbes Benkredda, fondateur de Munathara, rappelle qu’il est « important que tous les candidats aient les mêmes chances de débattre ».

Un code de conduite

En vingt ans de carrière, Abdelaziz Touati a vu la télévision nationale évoluer d’un « organe de propagande du régime » à un « média plus libre, qui a sa propre charte déontologique depuis 2013 ». Depuis la révolution, les médias tunisiens apprennent pas à pas l’indépendance face à des politiques et des hommes d’affaires qui détiennent certaines chaînes de télévision. « En Tunisie, les trois principales chaînes sont des télévisions de combat politique, orientées », analyse Zyed Krichen, rédacteur en chef du quotidien Le Maghreb.

Dans un paysage médiatique fragmenté autour de 11 chaînes de télévision, 40 radios, plus de 200 journaux et une cinquantaine de sites Internet, la couverture des élections est scrutée à la loupe. L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) et la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) ont élaboré plusieurs règles, dont les chaînes de télévision ont tendance à s’affranchir. L’ISIE a aussi publié, à l’occasion du scrutin présidentiel, un code de conduite pour les journalistes et pris des mesures drastiques à l’encontre de Nessma TV, Radio Quran et Zitouna TV, qui sont interdites de couvrir la campagne en raison de leur illégalité.

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Nessma TV, qui avait dû fermer ses locaux en avril 2019, continue d’émettre. La chaîne pose des problèmes de déontologie, car l’un de ses actionnaires et ancien PDG n’est autre que Nabil Karoui. Le jour de son arrestation, Nessma TV a évidemment consacré des plateaux à cette information. « Nous sommes en train d’instruire un dossier sur la couverture de l’arrestation du candidat. Il y a déjà eu d’autres problèmes avec la façon dont Nessma TV a couvert l’association caritative Khalil Tounes, en début d’année, en mettant en avant le candidat à la présidentielle », explique Nouri Lajmi, le président de la Haica. En 2014, déjà, le rôle joué par Nessma TV et Nabil Karoui dans la campagne de Béji Caïd Essebsi avait été pointé du doigt.

Problème de transparence

Les médias tunisiens jouent souvent sur la frontière entre liberté d’expression et journalisme d’opinion. Ce que regrette le professeur en communication Larbi Chouikha, qui estime qu’« on ne peut pas avoir de couverture objective des élections sachant qu’il y a beaucoup d’opacité sur le financement des chaînes de télévision et leur réel propriétaire » et s’interroge sur « les chaînes privées qui fonctionnent avec peu de publicité ».

Dans une étude intitulée « Qui détient les médias ? », le Media Ownership Monitor constate que « les audiences dans chaque secteur de presse papier, radio, télévision et médias en ligne sont concentrées autour d’une poignée d’acteurs politiques et économiques clés ». Cet observatoire de la société civile estime aussi que « de manière générale, la transparence sur la propriété des structures des médias et sur l’accès aux données est limitée, sans qu’il y ait d’obligation pour les propriétaires de communiquer publiquement sur leurs affiliations politiques ».

Outre le problème de transparence, les formats éditoriaux laissent peu place à la diversité. A ce défaut s’ajoutent les choix rédactionnels ; Larbi Chouikha regrette « les nombreux plateaux et micro-trottoirs, des formats pauvres qui ne nous laissent pas vraiment la possibilité d’entrer en profondeur dans les problématiques de la campagne ».

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

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Tribune d'Afrique

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