Tunisie – Nabil Karoui : dix millions ou la prison

En détention préventive depuis le 24 décembre, Nabil Karoui attend le 10 mars que la justice se prononce sur sa libération provisoire sous caution.

Le 24 février, le juge d’instruction a rendu une décision favorable à la mise en liberté provisoire sous caution de l’homme d’affaires Nabil Karoui. Aussitôt le procureur général a interjeté appel, tandis que le grand public s’étonne de cette procédure. Il ignorait que la liberté provisoire sous caution était une disposition prévue dans le code pénal tunisien.

« À force de regarder des séries américaines, je pensais même que c’était une mesure valable uniquement dans le système judiciaire anglo-saxon », commente une militante de Qalb Tounes, parti fondé par Nabil Karoui.

Dix millions de dinars

« La liberté provisoire sous caution a été souvent demandée, mais sans tapage médiatique », précise un avocat, qui rappelle qu’elle avait profité à Youssef Mimouni dans l’affaire de corruption dite du Grand bleu dont il est sorti blanchi en 2013. Mais il confie que le montant d’une caution est en général élevé et reste hors de portée de certains prévenus. Il ne s’agit pas d’une sélection par l’argent mais d’une démarche qui concerne surtout les crimes en col blanc ou du moins ceux où la récidive est improbable.

Celle de Nabil Karoui a été fixée à dix millions de dinars, soit un peu plus de trois millions d’euros. Un montant exorbitant, qui n’a jamais été réclamé dans l’histoire de la justice tunisienne. Une somme que les proches de l’homme politique tentent de rassembler : « Les comptes et les biens de Nabil Karoui et de sa famille sont gelés par la justice, il n’y a donc pas accès sans compter qu’il est peu vraisemblable qu’il possède une telle somme », explique un membre du parquet.

LA FAMILLE DE NABIL KAROUI FAIT LE TOUR DES BANQUES POUR RASSEMBLER LE MONTANT EXORBITANT DE SA CAUTION

Mais Oussema Khlifi, président du bloc parlementaire de Qalb Tounes, comme pour anticiper les critiques sur l’origine des fonds, a expliqué que la famille de Nabil Karoui « fait le tour des banques pour rassembler le montant exorbitant de sa caution ».

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Une aubaine pour un État dont les caisses sont vides, mais aussi des tracas pour ceux qui participeraient à exprimer leur amitié à Nabil Karoui en avançant des fonds. « On n’est jamais à l’abri d’un contrôle fiscal téléguidé par le pouvoir ou un rival politique qui a le bras long », remarque un industriel qui se garde de toute visibilité partisane.

Passeport confisqué

Dans le camp de l’homme d’affaires, personne ne s’enthousiasme. Tous ont en mémoire l’émission d’un mandat de dépôt par la chambre d’accusation lors de la première arrestation de Nabil Karoui, en août 2019, alors qu’elle était interpellée par la défense sur un tout autre sujet. « Il a fallu un constat de nullité absolue de ce mandat de dépôt pour lever l’incarcération de Nabil Karoui », se rappelle son avocat, Nazih Souii, qui fait la part des choses. Cette fois, il estime que « le juge instructeur a considéré que Nabil Karoui ne représentait pas de danger pour autrui ni pour lui-même ».

TOUT A ÉTÉ FAIT POUR FAIRE CULPABILISER LA JUSTICE

Après sa première interpellation, Karoui assénait qu’il ne risquait pas de fuir avec un passeport confisqué et des avoirs intégralement bloqués. Son défenseur va plus loin et assure que les poursuites pour évasion fiscale sont infondées vu que l’ancien patron de Nessma TV a fait entrer des devises en Tunisie – et non le contraire -, et que le blanchiment d’argent, pour lequel Karoui est également poursuivi, n’est pas prouvé.

À 24 heures de l’audience, aucune information ne filtre sur la collecte des dix millions de dinars et de son versement au Trésor public. Certains prévoient encore des rebondissements dans l’affaire Karoui : « Tout a été fait pour faire culpabiliser la justice en laissant entendre que l’absence de mesures prises contre Nabil Karoui relevaient de la corruption », constate un politologue, qui déplore un climat peu serein et la manière dont les politiques tentent d’influer sur le cours de la justice.

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Nabil Karoui fait l’objet d’une plainte pour blanchiment d’argent et évasion fiscale déposée par l’association tunisienne anticorruption « I Watch ». En juillet 2019, le juge d’instruction du pôle financier lui avait signifié le gel de ses avoirs, accompagné d’une interdiction de sortie du territoire.

Source: Jeune Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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