Tunisie : l’éducation sexuelle à portée de clic

Destinée aux 12-18 ans, l’application Sexo Santé a été lancée le 8 janvier par l’Office national de la famille. Objectif : palier au manque d’informations sur la contraception et les maladies sexuellement transmissibles.

Maladies, santé reproductive, relations sexuelles, organes génitaux, masturbation… Déjà téléchargée par près de 9000 utilisateurs, Sexo Santé, la nouvelle application lancée le 8 janvier par l’Office national de la famille et de la population (ONFP) en Tunisie brise des tabous. Sous tutelle du ministère de la Santé, l’Office travaille sur le terrain sur des domaines aussi étendus que la santé sexuelle et reproductive, les violences faites au femmes, les populations vulnérables comme les migrants ou encore les addictions. Outre ses équipes mobiles, ses centres présents dans les 24 gouvernorats du pays comportent des espaces dédiés à l’accueil des jeunes. Explications avec Habib Ghedira, professeur de médecine (membre de la commission scientifique de lutte contre le Coronavirus) et PDG de l’ONFP.

Jeune Afrique : Cette application vient-elle palier le manque d’éducation sexuelle et reproductive en Tunisie ?

Habib Ghedira : Des supports éducatifs et manuels vidéos à destination du milieu scolaire et extra-scolaire sont en cours d’élaboration par les ministères de la Santé et de l’Éducation nationale avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP). L’ONFP participe également au développement du plan national de santé sexuelle et reproductive aux côtés du FNUAP.

Mais nous avons voulu opter pour une approche moderne adaptée aux usages des 12-18 ans. Nous souhaiterions atteindre au moins 30 % de cette tranche d’âge. L’application se télécharge et ne nécessite donc pas une connexion continue pour ceux qui n’auraient qu’un accès temporaire à internet. Nous avons aussi ciblé la promotion via l’instagrameuse BEKI, suivie par 1,7 millions de jeunes en Tunisie et ailleurs.

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Notre objectif à terme est de créer un site interactif qui permettrait de créer une extension de nos centres de santé sexuelle et reproductive présents sur le territoire. Les jeunes pourraient y contacter nos psychologues, éducateurs et sages-femmes avec un premier rendez-vous virtuel, et passer outre l’obstacle de l’intimidation que peut engendrer le fait de s’adresser à des spécialistes dans une institution publique, mais aussi de contourner les problèmes de transports. Ce premier lien de confiance pourrait déboucher sur des rendez-vous de visu.

Le réseau des planning familiaux a été tissé dès le début des années 1970 en Tunisie, l’accès à la pilule et à l’IVG (Interruption volontaire de grossesse) est-il banalisé ?

Des études nous ont confirmé le besoin de continuer à informer les jeunes. Elles font état de besoins non satisfaits en matière de santé sexuelle et reproductive — comme l’accès à la pilule, aux préservatifs ou à l’IVG (dont le taux est passé de 7 % au début de la décennie précédente à 19 % en 2018). Il y a plusieurs causes à cela. Après la révolution, il y a parfois eu des petits déficits d’approvisionnement en contraception dans nos centres dus à des problèmes de réserves ou à des troubles sociaux.

CERTAINS GROUPES RELIGIEUX POUSSENT LES TUNISIENS À SE DÉTOURNER DES OUTILS SANITAIRES TELS QUE LA PILULE OU L’IVG, PERÇUS COMME CONTRAIRES AUX PRINCIPES DIVINS

Mais nous pensons que ces besoins non satisfaits sont aussi dus à l’influence de groupes à composante religieuse, qui poussent les Tunisiens à se détourner de ces outils sanitaires perçus comme contraires aux principes divins. Certes, ils ont moins pignon sur rue que durant les premières années de l’après-révolution mais ce phénomène persiste. Au point que certains prestataires liés à nos services essaient même parfois de dissuader des jeunes d’avoir recours à l’IVG. D’autres émettent des jugements sur ces pratiques dans les médias. Or, différents scandales de pédophilie ces dernières années ont alimenté au contraire la prise de conscience nationale sur le besoin d’informer sur les droits inhérents à la santé sexuelle et reproductive.

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Certaines vidéos peuvent être perçues comme osées dans le contexte tunisien. Votre application a-t-elle suscité des oppositions ?

Paradoxalement, assez peu. Nous avons reçu quelques commentaires Facebook négatifs mais l’accueil général confirme au contraire que cette information est un besoin et un droit. Certaines vidéos explicatives peuvent faire débat plus que d’autres, comme décrire les appareils génitaux ou parler de masturbation, mais c’est un choix.

Il faut souligner que nous n’encourageons ni ne décourageons les relations sexuelles : nous donnons des informations qui permettent aux jeunes d’aborder ces questions en connaissance de cause. Cela leur permet aussi de se protéger des infections sexuellement transmissibles et d’éventuels abus. Il faut connaître ses droits mais aussi connaitre son corps suffisamment bien pour empêcher les atteintes à l’intimité et à la pudeur et les abus graves comme les incestes et actes pédophiles.

Autre message fort : aimer quelqu’un ne signifie pas nécessairement avoir des relations sexuelles. Par ailleurs, beaucoup de jeunes qui se posent des questions simples vont les chercher sur Internet  et développent de fausses connaissances, tout en risquant de tomber sur des sites pornographiques ou pédophiles. Il est important de les protéger en leur offrant l’information que nous possédons et qu’ils cherchent.

Source : Jeune Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

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