Tunisie : le mouvement #EnaZeda craint l’impunité pour un député accusé de harcèlement sexuel

Zouheir Makhlouf. Capture d’écran d’une émission télévisée tunisienne. CC 2.0

Le processus judiciaire à l’encontre de Zouheir Makhlouf semble à l’arrêt alors que l’élu a participé mercredi à la première session parlementaire depuis les élections.

Elles n’étaient qu’une quarantaine face aux barrages policiers qui assurent la sécurité de cette première session parlementaire en Tunisie depuis les élections législatives du 6 octobre. A coups de slogans – « Le harceleur ne légifère pas »« Nous ne bougerons pas d’ici, sors du Parlement Zouheir Makhlouf ! » –, de roulements de tambour et de coups de sifflet, ces femmes du mouvement #EnaZeda (« moi aussi » en dialecte tunisien), le #metoo tunisien, réclament que justice soit faite avant que le député Zouheir Makhlouf ne prête serment, mercredi 13 novembre, et ne puisse bénéficier de l’immunité parlementaire.

L’affaire a débuté le 10 octobre quand une bachelière a posté une photo de l’élu, membre du parti Qalb Tounès (« au cœur de la Tunisie »), dans une posture semblant indiquer qu’il se masturbait devant son lycée. Le cliché, aussitôt devenu viral sur les réseaux sociaux, a déclenché une vague de témoignages sur le harcèlement.

« Nous ne resterons pas silencieuses »

Fraîchement élu dans la circonscription de Nabeul, le député clame son innocence. « Je n’ai pas pu m’exprimer dans les médias, car je ne veux pas interférer dans le processus judiciaire. Je soutiens les associations qui luttent contre le harcèlement sexuel (…), mais je ne soutiens pas les associations qui deviennent des juges et condamnent les gens à la place de la justice », a-t-il répété, au moment d’entrer dans l’Hémicycle, dans une déclaration à un média tunisien.

Le ministère public de Nabeul a engagé une action contre le député, accusé de « harcèlement sexuel » et d’« atteinte à la pudeur ». Mais le processus judiciaire semble désormais à l’arrêt, malgré les nombreuses demandes des avocats d’avoir au moins une audience avant que le député ne prenne son siège.

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« Nous avons été prises de court quand il a été annoncé que l’Assemblée des représentants du peuple siégerait le 13 novembre. La victime a subi beaucoup de pressions et nous avons peur qu’elle lâche prise si les charges sont abandonnées à cause de l’immunité du député pendant cinq ans », déclare Nawrez Ellafi, active au sein d’EnaZeda. « Nous n’acceptons pas aujourd’hui qu’il entre au Parlement comme si de rien n’était », ajoute-t-elle.

« On peut jouer sur le fait que le député doit demander son immunité pour qu’elle soit effective, mais, jusqu’à maintenant, c’est un réel problème de texte. » La loi tunisienne est complexe, voire ambiguë. « On ne sait pas quand commence l’immunité, si c’est au moment où il est élu ou lorsqu’il prête serment. Tout cela aurait pu être résolu si nous avions une Cour constitutionnelle [elle n’a jamais été mise en place du temps de la précédente mandature] », souligne Malek Ben Jaâfar, l’un des avocats de la victime.

Ce mercredi, entre les ballons rouges et noirs et les pancartes proclamant « Je n’arrive pas à croire que je sois en train de manifester pour ce merdier », Saida Said, 33 ans et sans emploi souffle à pleins poumons dans son sifflet. « Nous manifestons aujourd’hui pour dire que le problème n’est pas au niveau de la loi, mais de son application. J’ai bien peur que, comme les députés qui avaient été accusés de corruption, ce cas-là n’aboutisse pas à de vraies poursuites judiciaires, déclare-t-elle. Mais au moins nous sommes là, nous avons une voix et nous ne resterons pas silencieuses. »

« Discussion avec les hommes »

Souha Arbi, 24 ans, employée dans une société, exprime son dégoût face à l’indifférence qui prévaut sur cette affaire : « J’ai vécu comme beaucoup de Tunisiennes des moments très gênants dans les transports en commun, #EnaZeda est donc un mouvement qui me touche personnellement. Il faut maintenant que l’on aille plus loin. »

Le nombre de manifestantes pouvait sembler faible mercredi, mais le groupe Facebook créé par plusieurs associations féministes dont Aswat Nissa (« voix des femmes »), ne cesse de grandir et de recevoir de nouveaux témoignages, avec à ce jour plus de 21 000 membres actifs. Aswat Nissa souligne l’importance du passage progressif du virtuel au réel. Ses membres ont commencé à organiser des groupes de parole dans des cafés du centre-ville et la manifestation devant le Parlement.

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« L’idée, c’est que les femmes puissent échanger et que l’on arrive aussi à instaurer une discussion avec les hommes. Même si, au sein du groupe, on peut voir que beaucoup de témoignages sont très durs et que la libération de la parole ne se fait pas à visage découvert car ils parlent de harcèlement au sein du cercle familial, il faut que le groupe serve au-delà de l’espace sécurisé que nous avons créé », témoigne Sarrah Ben Saïd, directrice exécutive de l’association.

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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