TUNISIE : Avec les limites du « le décret de juillet », la fin des discriminations à l’encontre des subsahariens n’est pas pour demain

Manifestation à la suite de l’un des nombreux meurtres racistes dans un pays qui a du mal a assumer son africanité

Longtemps considéré comme l’un des pays les plus racistes du Maghreb, la Tunisie fait de petits pas avec la pression des subsahariens et des associations locales. Mais le pays des jasmins reste bien loin du compte. Le décret de juillet dernier, portant « exonération exceptionnelle » pour étranger voulant quitter le territoire porte des relents de discriminations mais c’est l’ensemble du système d’accueil qui peine à s’adapter aux communautés venues d’Afrique subsaharienne.

Alors qu’une trentaine de « personnes d’origines africaines ont été agressées dans la rue » depuis un an en Tunisie selon des informations concordantes d’associations et de services de police, il est évident que les chiffres sont largement sous-estimés. Sur le sujet, opacité totale. Le ministère de l’intérieur, contacté par deux fois, n’a pas daigné donner suite aux sollicitations de Afrika Stratégies France. Car dans le pays, deux formes de discriminations existent. Celles presqu’instinctives des tunisiens à l’endroit d’étrangers, notamment les noirs puis celle quasi systémiques qu’on observe dans l’administration, aux services de l’immigration et qui sont parfois favorisées par des lois passéistes. Le dernier décret gouvernemental, celui de juillet dernier qui vise à faciliter la sortie du territoire de migrants et autres subsahariens aurait pu s’étendre à « toutes et à tous » comme l’auraient souhaité les communautés concernées. Jean Bedel GnabIi situe ce décret en déphasage des « besoins réels ». Le président d’une frange importante de la communauté ivoirienne, l’une des plus importantes avec celles malienne et camerounaise, s’étonne d’une disposition qui « ne répond pas véritablement à nos aspirations qui sont la demande d’exonération, régularisation massive, la reconnaissance juridique des travailleurs migrants« . L’Association des Ivoiriens Actifs de Tunisie (Assivat) dont il assume la présidence par intérim en a fait une priorité dans ses négociations avec les autorités tunisiennes.

La loi de juillet est trop restrictive

Les ressortissants de plusieurs pays de l’Afrique occidentale (Bénin, Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal, Niger, …) peuvent séjourner, dans la limite de trois mois en Tunisie sans visa. Cette situation facilite, contrairement à l’Afrique centrale, l’arrivée importante de citoyens de l’ouest du continent. Mais une autre disposition de la loi soumet tout étranger qui vit au-delà des 90 jours sans disposer d’une carte de séjour à une pénalité en permanente augmentation selon le nombre de jours excédés. Face à la pandémie de Covid-19 et la fermeture inattendue des frontières qu’elle a engendrée, le gouvernement a été obligé d’alléger ce dispositif. Ceci grâce à un décret de juillet 2020 portant « exonération exceptionnelle du droit de régularisation de situation des étrangers désirant quitter définitivement le territoire tunisien« . Une disposition dénoncée à cause de ses restrictions. Marien Djembi MAPESSI y voit « une volonté du législateur de permettre à de nombreux migrants en situation de vulnérabilité administrative de pouvoir retrouver une certaine dignité« . Ce conseiller en législation migratoire espère tout de même une extension du décret, en cette période de Covid-19.  Romdhane Ben Amor y voir une loi « discriminatoire« . Selon le Chargé de communication du Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux (Ftdes), les bénéfices d’une telle loi ne « touchent qu’une infime partie de la population migrante à savoir les étudiants ou les travailleurs qui sont en situation nettement régulière ». Il souhaite l’extension de la loi à tout « migrant » pour éviter la récurrente situation de migrants bloqués pour des années dans le pays. Et souvent tentés de rallier l’Europe par la mer. Le Ftdes indexe d’autres dispositions qui sont « caduques » mais n’ayant pas été retirées du code pénal. Il s’agit notamment de la loi n° 1968-0007 du 8 mars 1968, relative a la condition des étrangers en Tunisie qui punit « ceux qui, sciemment, aident directement ou indirectement ou tentent de faciliter l’entrée, la sortie, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en Tunisie« . Face au coronavirus, le Ftdes exige « une régularisation de l’ensemble des migrants » mais avec le renforcement des courants nationalistes au pouvoir, pas sûr que cela arrive de sitôt.

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Mieux accueillir les subsahariens

El Menzah 5 est un quartier périphérique du Grand Tunis. Il est aussi l’une des zones qui regorgent, avec Al Ouina, d’une population importante de ressortissants de l’Afrique subsaharienne. Ce matin de mars 2020, les auteurs de cet article sont arrivés, tôt au Commissariat de cet arrondissement. Le service des étrangers et de l’immigration est plein à craquer. Originaire du Togo, Edem, 26 ans n’a pas eu de carte de séjour depuis 2 ans, « et ce n’est pas faute d’avoir fait la demande » insiste l’étudiant en médecine. En effet, la carte de séjour est valable une année mais elle n’est délivrée qu’environ 8 à 11 mois après la demande alors que sa validité porte sur la date de demande. « Une incongruité » s’emporte Prisca pour qui, « finalement, la carte ne dure plus que deux ou trois mois« . Cette camerounaise a dû se contenter d’un récépissé pendant plusieurs mois, « ce qui m’a empêché de faire ma demande de visa auprès de l’Ambassade des USA à Tunis« . Selon cette trentenaire qui vient de décrocher un second master, « le système est totalement raciste » et « exclusionniste » martèle-t-elle, en colère. Quand enfin arrive, avec deux heures de retard l’officier en charge des titres, les insultes fusent. Il s’en prend aux usagers, les affublant de tous les noms d’oiseaux. « C’est bête de votre part d’envahir mon passage » maugrée-t-il avant de menacer de « les chasser tous« . Pourtant, la quittance des cartes de séjour, entre 30 et 80 € sont déjà payées par la plupart de ces étrangers. Quand nous avons tenté d’obtenir une carte de séjour, le même officier exige une autorisation de travail alors que nous disposions, pour l’occasion d’une carte de création de société offshore, seul type d’entreprise avec la société résidente, que peut créer un étranger. Au ministère du travail, l’accueil insiste « on ne peut pas être créateur d’entreprise et employé en même temps« . Il s’agit de contradictions, récurrentes dans l’interprétation de la loi, qui compliquent l’obtention de papier, même pour des personnes qui sont venues étudier et disposent de tous les documents à cet effet. Cette situation pousse de plus en plus d’Africains à se tourner vers le Maroc voisin. Le royaume chérifien l’a bien compris et assouplit sans cesse les conditions d’entrée pour des étudiants ouest-africains sur son territoire. Les ressortissants de certains pays dont la Côte d’Ivoire peuvent s’y rendre sans visas. Une importante manne d’autant que de plus en plus d’étudiants appartenant à la classe moyenne préfèrent Rabat ou Casablanca à la France par exemple qui vient de multiplier par 16 à 22 les frais de scolarité pour les non-européens.

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Une légère prise de conscience face au racisme

Depuis la loi qui sanctionne le racisme et qui a été votée en 2018, même si elle est rarement appliquée par une police parfois passive, une légère prise de conscience existe dans l’opinion. Cela d’abord grâce à Youssef Chahed, alors jeune Premier ministre dont la carrière d’enseignant en France lui offre une approche plus ouverte sur l’immigration et le reste de l’Afrique. Ces dernières années des actes de violences et d’assassinat pour des motivations racistes ont été plus ou moins relayés par la presse, ce qui a pu susciter une forme d’indignation dans le pays. Profitant de rencontres régulières, dans le cadre de lutte contre le covid-19 qui ont rassemblé pendant le confinement des autorités publiques et des organisations d’aide aux étrangers, la persistance des doléances en provenance des subsahariens ont permis à des maires, ministres et pouvoirs centraux de toucher du doigt le fléau. Mais dans un pays aussi hermétique, où à la fin de leurs études, les ressortissants africains autres que Marocains et Algériens ne peuvent travailler, les préjugés ont la vie dure. « Mais il faut les combattre » assène Djamila Ksiksi. Née à Médenine (sud-est) où les habitants ont la peau très foncée, elle a fait de la lutte contre le racisme dont elle fut longtemps victime, son combat. Au parlement tunisien où elle est l’unique élue « noire », elle se bat sans relâche contre toute forme de discriminations. Et si son combat est une goutte d’eau dans l’océan, elle persiste et signe, en espérant que « l’endurance ne finisse par payer« .

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DOBE Aboubacar Sidiki, Radio Libre Francophone, Tunisie

MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France, France

Tribune d'Afrique

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