« Nous appelons les Africains à participer à l’effort collectif »

Autant que les États, le secteur privé africain se mobilise autour du Fonds de riposte Covid-19 de l’Union africaine, de son Centre de prévention et de contrôle des maladies (Africa CDC) et de l’initiative AfroChampions.   © Fotostand / Schmitt / Picture-Alliance via AFP

Avec le Fonds de riposte Covid-19, le secteur privé panafricain s’investit aux côtés de l’Union africaine. Décryptage par Omar Alaoui de sa task force.

Au regard du fort impact de la crise du Covid-19, les États africains ont assez rapidement déployé des plans d’urgence sanitaire doublés de programmes de riposte économique pour en limiter les effets sur les entreprises et les populations. Sur le plan international, ils ont lancé des appels pour que les institutions financières internationales prévoient dans leurs actions contre le Covid-19 un volet de soutien à l’Afrique. C’est ainsi que la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, la Banque centrale européenne mais aussi le Fonds monétaire international ont été interpellés. Chacune de ces structures y est allée de son propos pour illustrer sa prise de conscience de l’importance du soutien à apporter à l’Afrique dans le sillage des déclarations alarmantes du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies Antonio Guterres. En Afrique, la Banque africaine de développement aussi y est allée de son initiative pour soutenir les États africains.

Homme le plus riche d’Afrique, le Nigérian Aliko Dangote est l’une des chevilles ouvrières de l’Initiative AfroChampions. © Bennett Raglin / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Déjà sollicité au niveau de chaque pays, le secteur privé africain n’a pas voulu être en reste et a trouvé le moyen de montrer sa solidarité dans une logique panafricaine. C’est tout le sens du Fonds de riposte Covid-19 lancé par l’Union africaine, son Centre de prévention et de contrôle des maladies (Africa CDC) et l’initiative AfroChampions portée notamment par l’homme d’affaires Aliko Dangote et l’ex-président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, Initiative dont le but est de promouvoir l’intégration africaine et contribuer à l’émergence d’entreprises championnes ainsi qu’à la transformation économique de l’Afrique.

En tant que président de l’Union africaine, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa estime que l’Afrique doit s’organiser pour compter sur ses propres forces.  © AFP

Pour le Sud-Africain et président de l’Union africaine Cyril Ramaphosa, l’Afrique se doit aussi de « mettre en place une force de frappe autonome ». D’autres régions du monde, a-t-il expliqué, paient déjà un lourd tribut au Covid-19 et leur soutien sera limité. Il faut donc mobiliser les fonds et l’expertise de l’Afrique », a-t-il poursuivi.

John Nkengasong, directeur d’Africa-CDC, s’exprime sur le Covid-19 au siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba le 10 mars 2020. © MICHAEL TEWELDE / AFP

Ce à quoi le Dr John Nkengasong, directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), a ajouté : « Il y a une course contre la montre pour préparer et protéger nos communautés. L’Afrique doit se mettre à l’unisson pour lutter contre cette pandémie et aucun pays sur notre continent ne doit être laissé pour compte. Nous devons coordonner les efforts des États membres, des agences de l’Union africaine, de l’Organisation mondiale de la santé et d’autres partenaires pour assurer la synergie et minimiser les doublons. Nous devons également promouvoir de solides pratiques de santé publique pour la surveillance, la prévention, le diagnostic, le traitement et le contrôle du Covid-19. »

Paulo Gomes, vice-président de l’Initiative AfroChampions et ex-directeur exécutif de la Banque mondiale, a rejoint le Comité consultatif du Fonds de riposte © SEYLLOU / AFP

À l’unisson du sentiment de l’Union africaine et de celui d’Africa CDC, Paulo Gomes, vice-président de l’Initiative AfroChampions et ex-directeur exécutif de la Banque mondiale qui a rejoint le Comité consultatif du Fonds de riposte, a estimé que « le moment est venu pour l’Afrique de déployer des mesures prospectives. Nous devons commencer dès maintenant à renforcer nos capacités en matière de tests de diagnostic, de fabrication de médicaments et d’infrastructures de santé. Le secteur privé africain peut non seulement contribuer à ce fonds, mais il devrait également envisager d’autres actions telles que des campagnes de prévention dans les entreprises, le redéploiement des lignes de production vers les équipements et produits nécessaires contre la pandémie, l’optimisation des infrastructures de transport et de connectivité pour soutenir les urgences médicales ».

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Omar Alaoui de la task force du Fonds de riposte Covid-19 lancé par l’Union Africaine, Africa CDC et AfroChampions, avec l’ex-président Olusegun Obasanjo et co-initiateur d’AfroChampions.  © DR

Membre de la task force public-privé du Fonds de riposte Covid-19, Omar Alaoui a accepté de répondre aux questions du Point Afrique.

Le Point Afrique : La création d’un Fonds de riposte Africa Covid-19 avec le secteur privé illustre-t-elle que les moyens de l’Union africaine sont trop justes pour venir au secours de ses États membres ?

Omar Alaoui : Elle illustre surtout une volonté des États membres de l’Union africaine et de l’Union africaine elle-même de mettre en place une dynamique qui soit la plus ouverte et la plus collective possible. Le multilatéralisme est mis à rude épreuve à travers le monde. Face à la crise qui appelle pourtant à davantage de solidarité, on a vu émerger les forces conservatrices, les tentatives de repli sur soi et les égoïsmes nationaux prendre le dessus.

Pour l’Afrique, nous avons à la fois besoin d’une mobilisation des États africains, avec la prise de mesures fermes et la mobilisation des experts nationaux, mais également d’une forme de partenariat mondial intelligent. L’UA a donc su construire une démarche intelligente en lançant une démarche concertée avec les représentants du secteur privé panafricain, mais également au-delà des frontières.

La Commission européenne, qui a érigé le nouveau partenariat UE-Afrique au cœur de ses priorités, a également prouvé sa solidarité. Je souhaite que le secteur privé européen et les grandes entreprises européennes présentes physiquement en Afrique ou qui commercent avec notre continent puissent également s’inscrire dans la même démarche.

De combien dispose-t-elle aujourd’hui pour lutter contre le Covid-19 ?

Le Fonds vise à réunir rapidement un montant initial de 150 millions de dollars, et ce, pour répondre de manière urgente et très opérationnellement aux besoins immédiats de prévention et de lutte contre la transmission sur le terrain et dans les pays les plus vulnérables actuellement. Nous avons mis en place l’ingénierie financière nécessaire pour collecter dès à présent les dons des philanthropes africains, des entrepreneurs du continent, mais également des investisseurs étrangers présents en Afrique, et notamment ceux issus du continent européen. Conscients de l’importance que peuvent représenter les petites et moyennes donations, nous appelons également les citoyens africains à participer à l’effort collectif et ce à travers la solution mobile que nous mettons en place pour cela.

Comment la rencontre avec le secteur privé africain s’est-elle faite sur ce projet ?

L’ex-président du Nigeria et co-initiateur d’AfroChampions. © Xabiso Mkhabela / Anadolu Agency via AFP

Notre organisation AfroChampions regroupe en son sein les principaux opérateurs économiques du continent, ce qu’on appelle les « champions panafricains », convaincus de l’importance du commerce intra-africain et de la nécessaire intégration économique continentale. Nous disposons d’un partenariat fort et durable avec l’Union africaine. Notre organisation s’est d’ailleurs mise aux côtés de l’UA pour mobiliser le secteur privé dans le cadre de la Zleca, et ce à travers la mise en place d’un véhicule de financement mixte destiné à drainer de l’investissement vers les entreprises qui ont une forte ambition de devenir des champions panafricains et dont les activités dépassent le cadre d’un pays.

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Cela permettra de facto d’accélérer l’intégration économique du continent. C’est donc tout naturellement que notre plateforme a été sollicitée par l’UA et s’est mobilisée pour répondre à cette urgence humanitaire, sanitaire et économique. D’autant plus que certains dirigeants de notre organisation ont géré la crise d’Ebola avec les autorités africaines, c’est le cas de l’un de nos cofondateurs, le docteur Edem Adzogenu, médecin réputé sur le continent et militant infatigable de la cause panafricaine.

Quels sont les objectifs financiers de ce Fonds ?

Nous nous sommes fixé l’objectif de rassembler 450 millions de dollars. Dès le début de cette pandémie, nous avons ressenti une envie de nous impliquer et de nous engager avec les élites économiques à travers l’Afrique. Au-delà des contributions financières, je suis impressionné par les talents venus de l’Afrique qui se regroupent et qui s’activent pour apporter une réponse collective et mettre en place les schémas d’actions pour lutter contre la propagation du virus.

La mobilisation avance à grande vitesse et plusieurs grands entrepreneurs panafricains, à l’instar d’Aliko Dangote ou Naguib Sawiris, se sont engagés dans cet élan de solidarité panafricain. À titre personnel, j’ai été très sensible à l’appel aux philanthropes africains de la part de Mohamed Ould Bouamatou, dont l’action sociale et humanitaire n’est plus à démontrer. Il y a une véritable prise de conscience chez les hommes d’affaires panafricains qu’il faut une solution régionale à cette crise inédite et que le secteur privé doit être partie prenante à la mise en place d’une véritable coopération économique multilatérale en faveur du continent africain.

Qui va gérer ce Fonds et comment va-t-il fonctionner ?

Je tiens tout d’abord à saluer l’esprit d’ouverture et de travail collaboratif dans lequel se trouve l’Union africaine. La caricature des bureaucrates d’Addis-Abeba est totalement fausse, et l’UA n’inaugure pas les chrysanthèmes. C’est une institution pro-active, ouverte sur la jeunesse, sur la société civile, sur le monde de la science, sur celui de l’entreprise. Ce Fonds, qui vise à collecter les contributions du secteur privé avec le soutien de plusieurs banques africaines de dimension régionale, fonctionnera sous la supervision de l’UA et à travers Africa CDC qui déterminera les interventions et les actions prioritaires, puisqu’elle dispose à la fois de l’expertise scientifique et de la cartographie des besoins. Notre task force coordonne les efforts de cette initiative public-privé au quotidien, et un conseil consultatif composé de plusieurs personnalités africaines de grande envergure supervisera la gestion du Fonds.

La question centrale est la fourniture de matériel médical, de tests, de masques, de respirateurs. Y a-t-il aujourd’hui un partenariat qui permette d’accéder à tout cela au meilleur prix ?

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En effet, les actions prioritaires comprennent l’achat et la distribution des équipements essentiels pour le diagnostic et le traitement des malades, mais également la protection du personnel soignant, à qui nous souhaitons rendre hommage une nouvelle fois puisqu’ils sont au front de cette guerre contre le Covid-19. Africa CDC, organe technique rattaché à l’UA, dispose d’une cartographie claire et précise des besoins sanitaires de tous les pays africains et suit l’évolution de la pandémie heure après heure, minute après minute, en lien étroit avec les autorités sanitaires des États membres de l’UA. Avec ses bons relais et ses partenaires adéquats, Africa CDC dispose des moyens pour accéder à ce matériel au meilleur prix possible.

Au-delà de sa dimension sanitaire, ce Fonds de riposte prévoit-il un volet social à son action ?

Évidemment, une partie des fonds collectés sera allouée au soutien des communautés les plus fragiles vivant dans les pays africains les moins dotés sur le plan socio-économique. La fuite des capitaux, la baisse des échanges commerciaux avec les pays occidentaux et la Chine, l’arrêt net des flux touristiques, tout cela entraîne des conséquences désastreuses sur les populations africaines. Ajoutons à cela le poids de l’informel dans les économies africaines. Il y a eu des actions nationales de grande ampleur. Elles étaient nécessaires au début de l’épidémie, mais il faut désormais soutenir les populations les plus vulnérables du continent, avec des ressources financières, certes, mais également avec la mise à disposition d’experts afin d’assister les systèmes de santé des pays les plus fragiles.

Alors que beaucoup de fausses informations circulent sur le Covid-19, ce Fonds entend-il financer des outils et acteurs dont le travail d’information est aussi de prévention ?

La lutte contre les fakes news est un enjeu crucial, notamment dans les pays du continent où le taux d’analphabétisme est élevé. Pour cela, le rôle des médias est essentiel dans la diffusion d’informations fiables et crédibles. Il est nécessaire d’œuvrer pour que l’ensemble des populations ait accès à cette information. Notre task force a tout de suite pris contact et noué un partenariat fort avec un panel de haut niveau composé de leaders des médias et de professionnels de la communication afin non seulement de mettre la lumière sur ce Fonds de riposte au Covid-19, mais également pour mettre en place des actions fortes de sensibilisation à l’attention des populations africaines. Les autorités des pays africains – policières et judiciaires – ont également un rôle clé pour lutter contre la propagation de contenus mensongers pouvant semer la panique et des troubles au sein des populations.

Une fois le Covid-19 jugulé, est-il envisagé de pérenniser ce Fonds pour se positionner non pas en mode curatif mais en mode préventif par rapport aux futures épidémies ?

Le Covid-19 a changé la donne pour le monde et pour l’Afrique. Ce sont les modèles économiques des pays et les modes de vies des individus qui seront impactés durablement. La prévention des risques sera désormais au cœur de toute démarche structurée et de tout modèle de développement. L’Afrique n’a pas assez capitalisé sur l’expérience d’Ebola, elle devra demain capitaliser sur celle du Covid-19, et notre Fonds a bien l’intention d’y contribuer !

Source: Le Point Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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