Matières premières : l’or… filon inépuisable en Afrique

Intellivoire avocet mining au burkina

 La carte des grands producteurs d’or africains se reconfigure. Le Ghana s’impose désormais, suivi du Soudan. Le Mali et le Burkina Faso progressent, tandis que l’Afrique du Sud descend de son piédestal.

C’est la mine d’or la plus profonde du monde. À Mponeng, 80 kilomètres au sud-ouest de Johannesburg, les ascenseurs s’enfoncent jusqu’à 3,4 km sous terre. La roche grignotée par près de 400 kilomètres de tunnels y dégage une chaleur étouffante (jusqu’à 60°), mais elle recèle par endroits des teneurs en or proches de 10 grammes par tonne. En 2010, 16,5 t de métal jaune ont été extraites de ses entrailles, faisant de Mponeng une des mines d’or les plus riches de la planète. Aujourd’hui, pourtant, elle n’est plus rentable. Elle est même à vendre. AngloGold Ashanti, 3e producteur mondial d’or, en a fait l’annonce le 9 mai. En 2018, la production s’est établie à 8,2 t (contre 9,8 t en 2017 et 12,4 t en 2016), tandis que le nombre d’employés, 5 400, a réduit drastiquement en deux ans. Inverser la tendance supposerait de creuser encore plus loin pour atteindre le minerai du récif de carbone, où la concentration d’or dépasse largement les 10 g/t. Une opération coûteuse. « L’extraction à des profondeurs plus importantes nécessite des investissements lourds en infrastructures et en équipements pour l’évacuation des eaux souterraines, la ventilation, etc. », précise Maïté Le Gleuher, économiste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). JPMorgan a évalué à 1 milliard de dollars l’allongement de la vie de la mine au-delà de 2027. Mais AngloGold Ashanti, qui s’est déjà délestée de deux mines sud-africaines l’an dernier (Moab Khotsong et Kopanang), semble dans une autre dynamique. Dans le rapport annuel de la compagnie publié en mars, son PDG Kelvin Dushnisky, boosté par de bons résultats en RD Congo et en Tanzanie, évoquait déjà ces projets « plus attrayants (que Mponeng) avec leurs rendements plus élevés et des retours sur investissement plus rapides ».

Mponeng est la mine d’or souterraine la plus creusée du globe.© GIANLUIGI GUERCIA / AFP

Fin de l’âge d’or en Afrique du Sud

Le retrait d’AngloGold Ashanti d’Afrique du Sud, où s’est construit son empire, symbolise le déclin de l’industrie aurifère dans ce pays qui a longtemps régné sur la production mondiale d’or. Une hégémonie affirmée dès 1896, dix ans après la ruée vers l’or dans le Witwaterstrand. C’est d’ailleurs sur ce gisement, le plus riche jamais découvert, que fut bâtie Johannesburg (« ville de l’or » en langue zulu). L’Afrique du Sud a beau être encore assise sur des réserves d’or considérables (6 000 tonnes, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis), la production n’a cessé de se tarir depuis le pic de 1970 (environ 1 000 tonnes d’or par an). Entre 1990 et 2018, les volumes d’or ont décru de 80 % pour s’établir à 119 tonnes d’après les données du rapport Commodity Markets Outlook d’avril 2019 de la Banque mondiale. Lequel sacre le Ghana premier producteur d’or africain et le Soudan, 2e. L’Afrique du Sud aurait même été détrônée par l’ex Côte-de-l’Or dès 2017, selon d’autres estimations.

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« L’Afrique du Sud, qui fut le plus grand fournisseur d’or au monde avant que la Chine ne la dépasse [en 2007, NDLR], se heurte à des défis opérationnels tels que la baisse de la teneur en or, les troubles sociaux et les pénuries d’électricité. Ces problèmes ont pesé de plus en plus lourd sur les coûts de production, au point de faire de l’exploitation aurifère une activité non rentable », résume l’analyste du secteur minier Vinneth Bajaj. Une conclusion que réfute toutefois le président sud-africain Cyril Ramaphosa, élu en mai et qui fut l’un des directeurs du groupe Lonmin – tristement célèbre après le massacre par la police en 2012 de 34 grévistes dans une mine de platine. Le secteur minier est encore au stade de « lever du jour », plaidait-il lors du grand raout annuel de l’industrie minière (Indaba) qui s’est tenu en février au Cap. Mais ni les promesses de réformes structurelles, ni les amendements de la charte minière, et encore moins les récentes mesures économiques ne semblent motiver les investisseurs. « Le gouvernement a autorisé l’électricien public Eskom à procéder à de nouvelles hausses de tarif d’environ 15 % en mai, ce qui entame la marge des opérateurs déjà érodée par une baisse de la productivité en raison des grèves », relève Maïté Le Gleuher. Par ailleurs, ajoute-t-elle : « On voit peu de travaux d’exploration pour découvrir d’autres sites en Afrique du Sud. »

Le Ghana brille

En revanche, « les investissements consacrés à la recherche d’or ont grimpé en 2018 au Ghana, au Mali et au Burkina Faso, avec des budgets compris entre 90 et 150 millions de dollars (entre 80 et 133 millions d’euros). La recherche de nouvelles cibles (greenfield) reste active au Mali et au Burkina Faso, tandis qu’au Ghana les opérateurs miniers cherchent plutôt à prolonger la vie de leurs mines (brownfield) », poursuit l’économiste au BRGM. C’est le cas, par exemple, du géant américain Newmont – devenu Newmont Goldcorp après le rachat en début d’année de son concurrent canadien. Au Ghana, où il a réalisé 15 % de sa production en 2018, Newmont a étendu sa gigantesque mine d’Ahafo à 300 kilomètres au nord-ouest d’Accra. L’expansion souterraine (Subika Underground) lui assure désormais un surplus de production compris entre 4,6 t et 6,2 t par an.

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Depuis 2006, l’or est devenu la première source de revenus en devises étrangères du Ghana. © CHRIS STEIN / AFP

Premier producteur d’or en Afrique (158 tonnes en 2018) et 6e dans le monde (derrière la Chine, l’Australie, la Russie, les États-Unis et le Canada), le Ghana aurait donc vu les volumes d’or extraits de son sous-sol augmenter de plus de 15 % en un an, selon les données de la Banque mondiale. Un bond qu’on peine à justifier : en 2018, l’extraction artisanale, qui contribuait récemment à environ un tiers de la production d’or nationale, était à l’arrêt, en vertu d’un moratoire instauré en avril 2017 pour lutter contre l’orpaillage illégal et ses dégâts sur l’environnement. Plus réalistes, les données de la Banque du Ghana (Bank of Ghana) indiquent un volume de production annuel de 132,6 t, en repli de 7,6 % par rapport à 2017. Et il n’en demeure pas moins que la terre ancestrale des puissants royaumes Denkyira ou Ashanti, réputés pour leur richesse en or, domine la production africaine… et attire les compagnies étrangères. Elles y apprécient notamment la stabilité politique. Maïté Le Gleuher insiste aussi sur la main-d’œuvre qualifiée : « C’est le point fort du Ghana pour les compagnies qui s’y installent : les géologues ghanéens sont opérationnels. »

Emmanuel Appiah, gérant d’une mine d’or à Brong-Ahafo, Ghana, le 15 septembre 2016 (image d’illustration).© Kristin Palitza / AFP

L’industrialisation : une déconvenue pour le Soudan

Le Soudan ne présentait pas autant d’atouts lorsqu’il a souhaité diversifier son économie vers les secteurs agricoles et miniers au milieu des années 2000. Tandis que le cours de l’or s’envole, il mise sur une production industrielle du métal précieux. Une ambition qui transparaît dans le plan stratégique 2005-2011 du gouvernement. Y figure même un projet de raffinerie détenue par la Banque centrale – elle verra le jour en 2012. « Le Soudan voulait contrôler et bénéficier de plusieurs étapes de la chaîne de valeur de l’or, il se démarquait ainsi d’autres pays africains en n’étant pas qu’un simple pays producteur d’or. L’instauration de la raffinerie et d’un monopole sur le commerce d’exportation de l’or devait aussi lui permettre d’éviter la contrebande vers les pays voisins », explique Raphaëlle Chevrillon-Guibert, chargée de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Las, l’embargo américain de 1997 (levé en 2017), l’inscription de Khartoum par les États-Unis sur la liste des États qui soutiennent le terrorisme, puis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 qui plonge le pays en récession en l’amputant de trois quarts des revenus du pétrole douchent ses projets d’industrialisation. Et poussent le pays à se tourner, par défaut, vers la production d’or artisanale, qu’il va chercher à contrôler par des systèmes de marchés régionaux.

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Le gouvernement du Ghana a décidé de mettre fin aux activités des « Galamsey » comme sont surnommés les exploitations minières illicites – accusant les mineurs de la forte pollution de l’environnement et de la destruction du paysage. © CRISTINA ALDEHUELA / AFP

Un « boom de l’orpaillage »

Aujourd’hui, l’accroissement phénoménal de la production aurifère repose à 80 % sur le secteur artisanal. En dépit d’intérêts d’opérateurs canadien, russe, turc, marocain, égyptien ou saoudien, seule la compagnie Ariab Mining, détenue à 95 % par l’État depuis le rachat en 2015 des intérêts de La Mancha (ex-filiale d’Areva acquise par le magnat égyptien Naguib Sawiris en 2012), semble en opération. « Le boom minier au Soudan est un boom de l’orpaillage », selon la politiste Raphaëlle Chevrillon-Guibert. « L’exploitation aurifère a attiré des milliers de creuseurs à travers le territoire, et tout particulièrement dans les zones pacifiées, au nord et à l’est de Khartoum, où l’activité a explosé », développe-t-elle. Et elle poursuit : « La mécanisation du secteur artisanal a été très rapide, à la faveur de l’importation de Chine d’une petite machinerie et des partenariats sino-soudanais déjà bien établis, ce qui a permis d’augmenter les volumes de production. » Ce secteur abrite une diversité d’acteurs : petits orpailleurs, PME semi-mécanisées, investisseurs nationaux… avec, dans le cas des derniers, une stratégie clientéliste du pouvoir.

A leur apogée dans les années 1980, les mines sud-africaines employaient 760.000 personnes et contribuaient à 21% du produit intérieur brut (PIB) du pays. © JOHN WESSELS / AFP

« Les affidés du régime, dont certains avaient investi dans les services pétroliers, ont essayé de s’investir dans le nouveau secteur minier après 2011, en obtenant soit le contrôle d’un territoire aurifère, soit la possibilité de traiter les déchets des orpailleurs grâce à des licences négociées avec le pouvoir dans des zones en guerre ou pacifiées », analyse Raphaëlle Chevrillon-Guibert. En 2011, le cours de l’or s’est installé depuis deux ans au-delà du seuil de 1000 dollars l’once, où il oscille depuis. Dans le contexte de la crise monétaire et économique qui frappe le Soudan, et qui a conduit au soulèvement de janvier, cette nouvelle manne financière, pourtant, « n’atteint pas les montants de la rente pétrolière » qui avaient permis à l’État de jouer un rôle de développeur, et « se limite à fournir des devises » selon la chercheuse. Dans un entretien publié sur le site du centre de recherche Noria, elle note, par ailleurs, que les inégalités liées à l’octroi de licences minières, de concessions, ou à l’installation d’usines de traitement très polluantes ont nourri la contestation sociale… Qui a éclaté en début d’année au Soudan.

Source:Le Point Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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