Maghreb : la liberté d’opinion sous les barreaux

Le journaliste algérien Khaled Drareni a été condamné à trois ans de prison ferme. © Khaled Drareni, Facebook

La condamnation du journaliste algérien Khaled Drareni à trois ans de prison illustre bien la difficulté d’être journaliste ou opposant au Maghreb.

« Le Maroc et l’Algérie ont un triste point commun, la regrettable tendance à museler les journalistes », déclarait l’ONG Human Rights Watch (HRW) citant les cas de Khaled Drareni et d’Omar Radi. Si le résultat est le même, case prison, la façon de faire diffère. « Le mode opératoire du Maroc est de lancer une kyrielle d’accusations criminelles contre le journaliste ciblé, tandis que les autorités algériennes préfèrent recourir à des délits que le Code pénal définit de façon très vague », analyse HRW.

Algérie : un procès pour dompter le hirak

À Alger, Drareni a écopé de trois ans de prison ferme ainsi qu’une amende de 50 000 dinars. Le procureur de la République en exigeait quatre assortis d’une privation des droits civiques et d’une amende. Motif : « atteinte à l’intégrité nationale » et « incitation à un attroupement non armé ». Il lui est reproché sa couverture du hirak, notamment sur les réseaux sociaux, pour TV5 ainsi que pour le site Casbah-Tribune. Son fil Twitter, 146 000 abonnés, ajoutait à l’énervement du pouvoir, contesté dans la rue, refusant que cette contestation magistrale (des millions de manifestants chaque vendredi depuis février 2019) puisse être largement diffusée. Le message envoyé ce 10 août 2020 par le tribunal de Sidi M’Hamed sonne comme un avertissement pour tous les journalistes algériens qui travaillent pour des médias étrangers. Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, jugés par la même cour, ont écopé de deux ans de prison, dont quatre mois ferme. Ces deux militants avaient été arrêtés le 7 mars lors d’une manifestation du hirak. Ils ont été remis en liberté provisoire ayant déjà purgé plus de quatre mois en préventive.

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Maroc : les journalistes d’investigation dans le collimateur

À Casablanca, le journaliste Omar Radi faisait des investigations sur des sujets tabous pour le site Le Desk : la corruption, la prédation foncière, les liens coupables entre dirigeants et hommes d’affaires… En mars, première sommation judiciaire : quatre mois de prison avec sursis pour un tweet de 2019 qui nomme un juge de la cour d’appel (Lahcen Talfi) qui vient de condamner lourdement des artisans du hirak marocain.

Le 24 juillet, Radi explique être « reconvoqué pour la 8e fois par la BNPJ » (Brigade nationale de la police judiciaire). Il sera mis en cellule le 29 juillet. Motif ? « Atteinte à la sûreté extérieure de l’État à travers des relations avec des agents étrangers et à travers la réception de fonds étrangers. » La police marocaine ainsi que le contre-espionnage s’acharnent, d’après ses proches. Une autre accusation de « viol » a été ajoutée. Omar Radi aurait agressé une femme mi-juillet. Pour l’atteinte à la sécurité nationale, le Code pénal marocain prévoit une peine allant d’un à cinq ans. Jusqu’à dix ans, s’il est reconnu coupable d’agression sexuelle.

En 2018, Taoufik Bouachrine, fondateur de l’influent quotidien Akhbar al-Yom a été condamné à douze ans de prison pour violences sexuelles. Souleimane Raissouni, rédacteur en chef du journal, attend pour sa part en détention préventive pour les mêmes motifs. Les médias proches du pouvoir ont donné la charge contre leurs trois confrères. La technique ressemble à celle utilisée contre Julian Assange : accusation de « piratage informatique » par la justice américaine, puis mandat d’arrêt pour « agression sexuelle » lancé par la Suède. La dictature Ben Ali avait utilisé ce procédé contre l’opposant Taoufik Ben Brik : six mois de prison ferme en 2009 pour « agression sur une femme ». Reporters sans frontières avait parlé de « traquenard ». Tant que la justice n’a pas été rendue dans un contexte serein, impossible de se faire opinion. On note qu’il s’agit de journalistes peu complaisants avec le pouvoir.

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À Tunis, six mois ferme pour atteinte au sacré

Emna Chargui, 27 ans, ne pouvait imaginer qu’un simple partage d’une sourate imaginaire consacrée au coronavirus l’enverrait en prison. Cette jeune femme a reçu une condamnation de six mois ferme pour « atteinte au sacré » et « incitation à la haine entre les religions ». Elle a fait appel. L’audience devrait avoir lieu en septembre. Le pourquoi de cette histoire demeure une énigme. Pourquoi police et justice se sont mobilisées à haut niveau autour de ce simple clic ? Quant à Taoufik Ben Brik, toujours lui, il était condamné en première instance à un an de prison pour « diffamation » avec effet immédiat. Cette grande gueule bien connue des Tunisiens avait pris fait et cause pour le candidat Nabil Karoui durant la campagne électorale. L’homme d’affaires avait été incarcéré quelques semaines avant le premier tour de la présidentielle. Ben Brik avait alors dit « que dans d’autres pays, on prend les armes et les gens descendent se battre… » La cour d’appel a commué la peine à huit avec sursis. Le SNJT, le syndicat national des journalistes tunisiens, évoquait un « retour des méthodes Ben Ali »

Les réseaux sociaux sous surveillance policière

Que ce soit Drareni, Emna Chergui, les accusateurs se sont fondés sur ce qui a été publié Facebook, le premier média au Maghreb. Un pays comme la Tunisie compte plus de 7 millions d’utilisateurs (11,8 millions d’habitants), le Maroc 16 millions (36 millions d’habitants) et 17 millions en Algérie (42 millions d’habitants). Le vrai pouvoir se situe ici. Une information postée sur tous les Instagram, Twitter, FB et autres peut prendre une proportion insoupçonnée. Et ça, les pouvoirs n’apprécient guère. La période du Covid-19 a permis de sévir avec plus de tranquillité.

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Source: Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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