Loi antiterroriste : l’Éthiopie rectifie le tir

Les attentes des organisations de défense des droits humains sont immenses après l’adoption par le Parlement de sa nouvelle législation antiterroriste.

L’année 2020 commence avec du changement en Éthiopie. Le 2 janvier, le Parlement a approuvé à la majorité sa nouvelle loi antiterroriste. La décision est symbolique. En effet, elle met fin à un premier texte adopté en 2009 dont les termes juridiques assez flous permettaient aux autorités de considérer comme un acte terroriste tout rassemblement perturbant les services publics. Pendant dix ans, « le gouvernement éthiopien a ainsi été accusé d’avoir utilisé et abusé de la loi antiterroriste pour étouffer la dissidence et la répression contre les membres des partis d’opposition légaux, les militants des droits de l’homme, les journalistes, les blogueurs et la société civile qui critiquent le parti au pouvoir et ses politiques », affirme le site d’informations éthiopien Ezega.

Les failles de l’ancien texte

En modifiant les termes de la loi, les autorités rendent plus précises les causes d’une éventuelle accusation. Désormais, c’est donc « « l’incitation » au terrorisme plutôt que son « encouragement », plus vague juridiquement, qui est passible de peines allant de quinze ans d’emprisonnement à la perpétuité, voire à la condamnation à mort. Les actes de terrorisme qui causent de « graves blessures corporelles » ou endommagent des biens seront passibles, eux, d’une peine de prison allant de dix à dix-huit ans.

Autre nouveauté, le texte garantit le droit des travailleurs à se mettre en grève, même si cela les conduit à « entraver les services publics », une infraction auparavant assimilée à du terrorisme. L’instauration d’un programme de protection des témoins, l’illégalité des fouilles pratiquées sans ordre officiel du chef de la police ou encore la possibilité pour les victimes d’abus de la part des forces de l’ordre de recevoir jusqu’à 1 500 dollars de compensation complètent les prérogatives de la nouvelle loi.

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Entre ouverture et méfiance

La mesure, qui desserre l’étau sur les organisations politiques et de la société civile, s’inscrit dans la lignée de celles prises par Abiy Ahmed depuis son accession au pouvoir, en avril 2018. Si, depuis près de deux ans, le Premier ministre, ouvertement libéral, s’efforce d’ouvrir l’économie du pays, il s’applique aussi à libéraliser sa société. En témoignent les nombreux efforts faits en ce sens, dont la signature d’un accord de paix avec le Front de libération oromo (FLO), les libérations massives de prisonniers politiques ou encore la mise en place fin 2018 d’une commission réconciliation afin d’enrayer les violences intercommunautaires.

Sa main tendue au voisin érythréen après plusieurs années de conflits a même été récompensée en octobre dernier par le prix Nobel de la paix. Mais la vague libéralisatrice a été prise de court en juin 2019, avec la tentative de coup d’État perpétrée dans l’Amhara. La mort d’une dizaine de personnes, dont cinq hauts responsables politiques et le chef d’état-major éthiopien Seare Mekonnen, déclenche une vague d’arrestations, dont certaines sont jugées arbitraires par des journalistes et des ONG comme Amnesty International. Pire, certains dénoncent une remise en marche des pratiques de l’ancien pouvoir sous le couvert de la lutte contre le terrorisme.

Aujourd’hui, cette accusation est de nouveau brandie chez ceux qui ne croient pas au changement annoncé par la nouvelle loi antiterroriste. Car celle-ci contient encore des termes sujets à critiques. La criminalisation « d’intimidation en vue de commettre un acte terroriste » ou encore le droit arrogé aux parlementaires à identifier et interdire des organisations terroristes rappellent les pratiques d’un autre temps, où la loi n’était qu’un artifice destiné à censurer des partis d’opposition. Pour l’opposant Merera Gudina, interrogé par l’AFP, il est encore trop tôt pour juger des effets de la nouvelle mesure. « Mais, a-t-il ajouté, nous craignons que les fonctionnaires du parti au pouvoir, habitués aux anciennes coutumes, puissent utiliser la nouvelle loi pour cibler les opposants. »

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Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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