Les îles Canaries, nouvelle «prison» pour migrants de l’Europe

Des migrants


En une semaine, depuis le 17 octobre, plus de 2 600 migrants venus d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne sont arrivés sur l’archipel espagnol des Canaries, l’équivalent de toute l’année 2019. Les autorités semblent dépassées. La situation sanitaire due au Covid empêche tout rapatriement vers leurs pays d’origine ou transfert vers le continent européen.

Après parfois un millier de kilomètres et une à quinze journées de traversée périlleuse en mer, entre 300 et 400 migrants atteignent chaque jour les côtes de l’archipel des Canaries, porte d’entrée de l’Europe à 150 kilomètres à l’ouest de l’Afrique. Mais ce sas vers l’eldorado européen semble aujourd’hui embouteillé. En deux mois, la hausse des arrivées de pateras ou cayucos (embarcations de fortune) a augmenté de façon exponentielle, prenant au dépourvu les autorités.

Testés pour le Covid en arrivant

Lorsque les caméras, hélicoptères et avions de la Garde civile espagnole repèrent au large les embarcations des migrants, les quatre navires des secours maritimes partent récupérer leurs passagers, qu’ils soient ou non en difficulté. Pour la plupart, ils sont ensuite débarqués au sud sur l’île de Grande Canarie, la plus grande des îles de l’archipel, au niveau du quai du port d’Arguineguin, transformé ces deux derniers mois en centre de triage d’urgence. Douze tentes de la Croix-Rouge y ont été installées.

Aussitôt arrivés à quai, leur état de santé est vérifié, leur température prise et un test de dépistage du coronavirus réalisé, puis ils sont placés en quarantaine sous les chapiteaux de l’organisation internationale, séparés selon leur date d’arrivée. Ils resteront ici maximum quatre jours, dormant à même le sol, sans matelas, et loin des caméras. La police refuse l’accès du site à la presse et poste des fourgons de la Garde civile autour du quai pour compliquer la prise de clichés photographiques.

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Après une traversée d'une à quinze journées en mer, les migrants sont pris en charge par le personnel de la Croix-Rouge espagnole à Grande Canarie.
Après une traversée d’une à quinze journées en mer, les migrants sont pris en charge par le personnel de la Croix-Rouge espagnole à Grande Canarie. Javier Bauluz

Une trentaine d’hôtels de l’archipel réquisitionnés

Les migrants terminent leur quarantaine dans une trentaine d’hôtels de l’archipel. Au-delà de deux semaines de confinement, ils sont libres d’aller et venir mais restent logés dans ces complexes touristiques jusqu’à nouvel ordre. Sur l’île de Grande Canarie, 3 800 y sont logés, auxquels s’ajoutent d’autres migrants dans le reste de l’archipel, sur les îles de Fuerteventura, Tenerife ou Lanzarote. Plus de 10 000 personnes sont arrivées sur des embarcations de fortune depuis le début de l’année.

Sur les plages des stations balnéaires gigantesques de Grande Canarie, les migrants remplacent aujourd’hui les touristes anglais, norvégiens ou allemands qui habituellement y prennent leurs quartiers en cette saison automnale. Un groupe de jeunes Maliens et Marocains arrivé sur l’île voici six semaines joue au football sur la plage de Puerto Rico avec quelques jeunes Canariens, aux dernières lueurs du coucher de soleil. Ils sont bloqués ici depuis six semaines.

« Nous sommes bien traités, nous avons un toit, nous mangeons bien mais nous ne sommes pas venus ici pour ça. Je veux travailler, je veux me construire une nouvelle vie en Europe », déclare Aboubakar, un jeune Malien de 20 ans ayant fui les combats qui rythment le quotidien de son village près de Mopti. Le jeune homme dit ne pas avoir été informé de ses droits et n’a donc pour l’instant rempli aucune demande d’asile. Covid oblige, les frontières sont fermées. Ces jeunes ne peuvent donc ni être rapatriés dans leur pays d’origine ni transférés vers le continent. Le gouvernement central espagnol délivre les autorisations au compte-goutte.

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Les hôteliers rechignent à le reconnaître, mais après une saison touristique catastrophique accusant une baisse de 66% de la fréquentation, cette manne financière tombe à pic. En revanche, depuis que le Royaume-Uni et l’Allemagne ont annoncé lundi 22 octobre relancer les vols vers l’archipel, la présence des migrants semblent en gêner certains. « Cela donne une mauvaise image qui pourrait ternir l’économie touristique », s’effraie la maire de la commune de San Bartolomé de Tirajana, Conchi Narvaez.

Un migrant sur seize meurt pendant la traversée

L’archipel n’avait connu pareille crise migratoire depuis plus de dix ans. En 2006, plus de 30 000 migrants avaient avaient ainsi rejoint l’archipel, « mais il n’y avait pas le Covid à l’époque, se rappelle Jose Antonio Rodriguez Verona, responsable au sein de la Croix-Rouge des opérations d’urgence auprès des migrants de Grande Canarie. À l’heure actuelle, ils arrivent aux Canaries et restent aux Canaries. »

Les cinq ministères espagnols concernés par cette crise humanitaire ne réussiraient pas à se coordonner (Affaires étrangères, Intérieur, Défense, Migrations et Affaires sociales) selon la maire de la commune de Mogan, dont dépend le port d’Arguineguin. Onalia Bueno demande le démantèlement des installations provisoires de la Croix-Rouge. « Nous souffrons du manque de communication entre ces ministères et de leurs batailles internes, déclare-t-elle.(…) Le gouvernement dispose d’installations militaires vides qui peuvent recevoir des milliers de migrants et où un accueil digne de ce nom pour leur être apporté, que ce soit ici sur l’archipel ou dans la péninsule. Ces migrants ne veulent pas restés ici. C’est une prison entourée d’eau pour eux. »

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Vendredi 23 octobre, 1 350 migrants étaient comptabilisés sur le quai, en attendant d’être redirigés vers des hôtels. Les tentes de la Croix-Rouge étant saturées, environ 400 hommes dorment dehors, supportant froid, pluie ou chaleur jour et nuit. Une situation intenable dénoncée par Arcadio Diaz Tejera, le juge en charge du Centre de rétention située au nord de l’île, où séjournent actuellement une vingtaine de migrants. « C’est indigne, inhumain. On ne peut pas traiter des êtres humains ainsi, s’est-il scandalisé lors d’une visite du dispositif du quai d’Arguineguin jeudi 22 octobre, tout en rendant hommage au travail de la Croix-Rouge. On aurait pu prévoir cette situation en amont, quand les routes méditerranéennes ont été fermées. C’était évident que la route des Canaries allait s’intensifier, et cela va s’amplifier. » Selon lui, au-delà de 72 heures, les migrants ne peuvent pas être détenus légalement par les autorités sur ce quai.

Le renforcement des opérations de l’Agence européenne de contrôle des frontières (Frontex), en parallèle d’accords passés par des pays membres de l’Union européenne avec le Maroc, la Libye et la Turquie pour la surveillance de leurs côtes, ont changé les habitudes des passeurs. Ils partent de plus loin, bien souvent de Dakhla au sud du Maroc, dans le Sahara-Occidental, ou bien des côtes mauritaniennes, sénégalaises ou gambiennes. Une traversée moins surveillée certes, mais chère (plus ou moins 1 500 euros) et plus risquée. Selon les chiffres de l’Organisation internationale des migrations (OIM), un passager sur seize périt en moyenne pendant la traversée.

Source : RFI Afrique/Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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