Le Rwanda reçoit des réfugiés évacués de Libye, « solution africaine aux problèmes africains »

Des réfugiés en Libye

Depuis septembre 2019, 306 demandeurs d’asile ont atterri dans le petit Etat d’Afrique centrale en attendant que leur dossier soit traité dans un pays occidental.

Autour d’un baby-foot, une dizaine de jeunes Erythréens luttent contre l’ennui, en savourant une liberté retrouvée. Il y a quatre mois encore, ils étaient en détention en Libye, sur la route de l’Europe, et les voilà redescendus 4 000 kilomètres plus au sud, dans un centre de transit du district de Gashora, dans l’est du Rwanda.

Selon un accord signé en septembre 2019 avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Union africaine, ce petit pays d’Afrique centrale s’est engagé à accueillir un premier contingent de 500 réfugiés évacués de Libye, jusqu’à ce que leur demande d’asile soit traitée. Dans le cadre de ce programme appelé « Mécanisme de transit d’urgence » (ETM), ils pourront bénéficier de l’asile dans un pays occidental, être rapatriés dans leur pays d’origine, réinstallés dans un pays de la région ou rester au Rwanda. En 2017, le gouvernement rwandais s’était dit prêt à recevoir jusqu’à 30 000 migrants africains sur son sol, par groupe de 500, afin d’éviter tout débordement.

Protéger des persécutions

Ce système est présenté par le HCR comme une réponse à la crise des réfugiés en Libye : plus de 40 000 sont enregistrés dans le pays et quelque 4 000, parmi eux, sont actuellement bloqués dans des centres de détention, où l’accès des travailleurs humanitaires est restreint. « Notre but est de les protéger des persécutions dont ils sont victimes là-bas et de leur éviter une traversée dangereuse de la Méditerranée tout en leur proposant une palette de solutions », explique Elise Villechalane, porte-parole de l’agence onusienne à Kigali.

Pour le Rwanda, qui accueille déjà 150 000 réfugiés venus principalement de la République démocratique du Congo (RDC) et du Burundi, c’est une manière de soutenir des « solutions africaines aux problèmes africains », l’un des mantras du président Paul Kagame. « C’est une question d’humanité. Nous portons une assistance aux autres Africains qui souffrent en Libye », ajoutait récemment Olivier Kayumba, secrétaire permanent au ministère de la gestion des urgences (Minema), lors d’une visite du centre de Gashora.

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Auparavant destiné à l’accueil de réfugiés burundais, le centre, situé dans la région du Bugesera, au sud de Kigali, a donc fait peau neuve. Les petites maisons de briques disséminées dans les bois hébergent 299 demandeurs d’asile, majoritairement originaires d’Erythrée, de Somalie, d’Ethiopie et du Soudan. Ils sont libres de se rendre dans les villages alentour, peuvent suivre des cours de langue et bénéficient d’un suivi psychologique et médical.

« Là-bas, c’est l’enfer sur Terre. Il y a beaucoup de maladies. J’ai vu des gens se faire torturer. Les policiers prennent des drogues la nuit et viennent pour battre les détenus. » Robiel, Erythréen, 24 ans

Quatre mois après la première évacuation, sept réfugiés ont déjà bénéficié d’un processus de réinstallation vers la Suède, une trentaine d’autres se préparent à les suivre et deux ont fait une demande de retour vers la Somalie, leur pays d’origine. Les autres attendent d’être fixés sur leur sort. Parfois avec inquiétude.

« Ils nous disent que certains vont rester au Rwanda, lâche Robiel, un jeune Erythréen de 24 ans, mais le Rwanda, ce n’est pas ma destination. J’ai trop souffert, perdu trop d’argent et trop de temps pour arriver en Europe. » Assis sur un banc, il écoute ses amis jouer du krar, un instrument à cordes traditionnel de la Corne de l’Afrique. Le regard fuyant, il égrène les innombrables étapes d’une errance de plus de quatre ans qui a coûté 14 000 dollars (12 700 euros) à sa famille. Son départ d’Erythrée en bateau vers Port-Soudan, puis l’Egypte, où il est emprisonné sept mois avant d’être renvoyé en Ethiopie. Un nouveau départ vers le Soudan, puis la Libye et sa tentative de traversée de la Méditerranée. Après vingt-trois heures en mer, son bateau est intercepté par des gardes-côtes libyens et il est envoyé en centre de détention.

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« Là-bas, c’est l’enfer sur Terre. Il y a beaucoup de maladies. J’ai vu des gens se faire torturer. Les policiers prennent des drogues la nuit et viennent pour battre les détenus », se souvient-il. Au terme de trois ans de détention, il est finalement sélectionné par le HCR pour être évacué au Rwanda, un pays encore plus éloigné des frontières de l’espace Schengen que son point de départ.

Gérer les frustrations

Le Rwanda n’est pas le premier pays à mettre en place ce type de mécanisme. Depuis le mois de novembre 2017, le Niger en a déjà accueilli environ 3 000 dans le cadre d’un accord similaire avec le HCR. Parmi eux, 2 300 ont bénéficié d’une réinstallation dans un pays occidental. « Cependant, le traitement des dossiers peut prendre beaucoup de temps, ce qui pose la question de la capacité qu’ont ces pays de transit à accueillir les réfugiés sur le long terme et à gérer les frustrations qui vont avec », tempère Johannes Claes, expert sur les migrations en Afrique de l’Ouest.

Le Mixed Migration Centre, un centre de recherche indépendant, rapporte que, lors de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin 2019, des demandeurs d’asile évacués de Libye en 2017 ont attaqué des véhicules du HCR en signe de protestation contre leur situation, dans le centre de transit d’Hamdallaye, à 40 kilomètres de Niamey. « Avec ce système, les pays occidentaux délèguent leurs responsabilités en termes d’asile à d’autres Etats et c’est une tendance inquiétante », conclut Johannes Claes.

« Ce qui compte, c’est que ces personnes sont en sécurité le temps que leur dossier soit traité. Et je suis fière que le Rwanda se soit porté volontaire. » Hope Tumukunde, représentante permanente du Rwanda à l’Union africaine

A ce jour, quatre pays ont promis d’accueillir des réfugiés de Gashora : la France (100), la Suède (150), le Canada (200) et la Norvège (450). Le programme a obtenu le soutien de l’Union européenne, qui a promis une participation à hauteur de 10 millions d’euros. La Norvège finance également une partie des frais du centre de transit. Joran Kallmyr, membre du Parti du progrès norvégien, une mouvance populiste et anti-immigration qui vient de quitter le gouvernement, est d’ailleurs venu au centre de Gashora en janvier.

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Celui qui était alors ministre norvégien de la justice et de l’immigration a salué l’initiative rwandaise. « C’est très bien que le Rwanda accueille les réfugiés les plus vulnérables afin que leur demande d’asile soit examinée ici, sur le continent africain, plutôt que les migrants viennent en Europe déposer leur demande et que la plupart d’entre eux soient finalement renvoyés en Afrique », a-t-il déclaré, semblant ainsi plaider pour une généralisation du système.

Alors que plus de 1 000 migrants sont morts en 2019 en tentant de traverser la Méditerranée, les signataires de l’accord insistent, quant à eux, sur les vies sauvées. « Ce qui compte, aujourd’hui, c’est que ces personnes sont en sécurité le temps que leur dossier soit traité. Et je suis fière que le Rwanda se soit porté volontaire », avait déclaré Hope Tumukunde, représentante permanente du Rwanda à l’Union africaine, à la suite des premières évacuations à la fin du mois de septembre.

Source:Le Monde Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

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