Le renouveau de l’Afrique sera politique ou ne sera pas

Pour Amadou Sadjo barry, « cette crise sanitaire du Covid-19 doit être perçue comme un bouleversement qui pourrait donner naissance à un certain renouveau des pays africains ». © AFP

La crise du Covid-19 est essentiellement perçue comme sanitaire et économique. Pour l’Afrique, il serait judicieux de ne pas en exclure la portée politique.

Dans la lutte contre le Covid-19 en Afrique, le point de vue économique domine les solutions envisagées pour limiter l’impact négatif des mesures de confinement et oriente les perspectives concernant la possibilité d’une autre Afrique qui sortira renouvelée par la crise du coronavirus. Or, si, dans l’urgence actuelle, on peut comprendre l’accent mis sur les considérations économiques, une renaissance de l’Afrique exige cependant un dépassement du point de vue économique afin de saisir les conditions politiques sans lesquelles l’idée même de développement se trouve condamnée à l’échec. De même, entre le juste optimisme qui se dégage de la mobilisation des intellectuels africains face au coronavirus et la persistance par ailleurs d’une forme régressive des pratiques autoritaires du pouvoir, il y a lieu de croire que le Covid-19 ne peut être une chance de renouveau pour l’Afrique que si l’on pense le devenir du continent, tout d’abord, d’un point de vue politique ; du moins, que si les perspectives économiques reposent sur une fondation politique.

Des occasions manquées

En effet, les crises sanitaires et les humiliations historiques qui ont ébranlé le continent n’ont pas réellement été des catalyseurs de renouveau. En ce sens, les tragédies africaines ont manqué d’être des événements au sens fort de ce terme, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas eu pour effet de transfigurer l’espace sociopolitique d’une manière qui permette l’avènement d’un monde nouveau. En témoignent la crise de l’épidémie d’Ebola, le Printemps arabe et le terrible spectacle de migrants africains vendus comme esclaves en Libye : l’Afrique n’a pas été autre chose que ce qu’elle a toujours été, une terre asséchée par l’absence minimale de justice sociale et d’égalité politique.

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Sous l’effet des épreuves, le tragique et le pire se sont maintenus du fait de l’instrumentalisation politique qui en a été faite et qui a conduit à une pratique patrimoniale et autoritaire du pouvoir. Et c’est cela qui pourrait empêcher l’Afrique de se renouveler une fois que l’épidémie du Covid-19 aura été vaincue.

Pour Amadou Sadjo Barry, il faut aller au-delà de l’économique et du sanitaire, et aborder la question du politique doit être au centre du débat sur le continent africain.   © DR

Penser à la dimension politique…

Voilà qui justifie qu’il ne faille pas s’attarder, dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, sur la dimension économique pour la simple et bonne raison que, pour avoir des chances de succès, les dispositions prises doivent pouvoir compter sur des préalables politiques qu’on ne trouve pas dans la majeure partie des pays africains.

Quels sont ces préalables si importants ?

C’est d’abord l’organisation de relations sociales dans le cadre d’une justice partagée par tous. C’est ensuite rendre autonome et indépendante la sphère publique seule capable de donner forme à l’idée de bien commun et d’une communauté d’hommes avec des intérêts convergents. Puis, c’est établir une relation quasi contractuelle entre gouvernants et gouvernés. Enfin, c’est une organisation et une pratique du pouvoir qui donnent du contenu aux institutions politiques et sociales. Mises ensemble, toutes ces données vont en quelque sorte déterminer le champ politique dans lequel se mouvoir. Elles vont constituer un cadre pour un progrès économique et social. Autrement dit, pour que le développement soit possible, il faut une organisation politique qui soit capable de le penser et de le construire.

Dans un tel contexte, on comprend que les pays africains qui ont souvent étouffé leur fort potentiel politique en soient à appeler à un plan Marshall ou à la réduction de la dette africaine et à ne rien changer aux situations de précarité et de vulnérabilité qui abîment tant de vies sur le continent. C’est le lieu de dire que l’obsolescence des systèmes de santé en Afrique, par exemple, ne tient pas aux seules considérations économiques, mais plutôt à la persistance de pratiques du pouvoir nihilistes. C’est pourquoi, aussi longtemps que le pouvoir politique sera informel empêchant l’ancrage d’institutions solides, aussi les mesures économiques seront sans impact significatif sur la vie des populations.

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… pour donner de l’impact aux mesures prises sur les autres plans

Cette crise sanitaire du Covid-19 doit être perçue comme un bouleversement qui pourrait donner naissance à un certain renouveau des pays africains. Ce sera le cas si le rapport au pouvoir est radicalement changé. Pour ce faire, il faudra penser l’Afrique autrement que dans son rapport au monde, faire comme si l’Afrique était seule au monde, donc renoncer momentanément à une pensée de l’Afrique-monde, au profit d’une pensée de l’Afrique sur l’Afrique par les Africains. Cet afrocentrisme devrait forcer les acteurs politiques à réaliser un travail de dégrisement dans lequel il conviendra de se défaire des manières d’être et de faire qui ont fini par faire de la dignité humaine une portion congrue sur les terres africaines.

Mais dégriser l’Afrique, ce sera penser l’Afrique au marteau, pour reprendre une fameuse expression nietzschéenne, ce qui veut dire démolir l’ontologie autoritaire et l’aide au développement qu’elle ne cesse d’enfanter. À cette condition, et à cette condition seulement, que, au-delà d’être à l’origine de la crise sanitaire, économique et financière qu’elle est aujourd’hui, le Covid-19 pourrait être plus qu’un événement, mais l’avènement d’une « autre Afrique ».

Source :Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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