L’Algérie s’attaque aux fake news

Dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19, le Parlement a adapté le Code pénal pour punir plus sévèrement les auteurs de fausses nouvelles.

Le Parlement algérien a promptement adopté mercredi 22 avril de nouvelles dispositions du Code pénal pour « criminaliser » la diffusion des fake news « portant atteinte à l’ordre et à la sécurité publics ». En présentant le texte devant les députés, le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, a fait des développements suivants sur le phénomène des fake news. « Il s’est répandu dernièrement suite au grand progrès des médias et de la technologie, puisque leurs auteurs exploitent les réseaux sociaux pour semer l’effroi chez le citoyen, avec une prolifération du phénomène lors de crises ou de conjonctures exceptionnelles », a-t-il dit.

Ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati a poussé au vote d’un changement du Code pénal à propos des fake news.  © Billal Bensalem / NurPhoto via AFP

Un texte plus répressif…

Les auteurs et diffuseurs de fausses nouvelles sont passibles, selon les nouvelles dispositions, d’un à trois ans de prison, et la peine est doublée en cas de récidive. Les peines peuvent être plus lourdes, de trois à cinq ans de prison « si ces actes sont commis durant les périodes de confinement sanitaire ou d’une catastrophe naturelle, biologique ou technologique ou de toute autre catastrophe ». Le 4 mars dernier, le président Abdelmadjid Tebboune avait déclaré : « Les fake news sont une atteinte à la morale de la société et susceptibles de saper les institutions et la cellule familiale. » D’ailleurs, parmi les premières mesures annoncées par le chef de l’État dans la lutte contre la propagation du nouveau coronavirus, on trouve en bonne place la « recherche et (l’)identification des personnes défaitistes qui s’attellent à faire circuler des fake news pour semer l’anarchie et maintenir le citoyen en état de panique ».

… qui rejoint une fermeté déjà observée sur le terrain

Depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, plusieurs arrestations et poursuites ont ciblé des personnes ayant, selon les autorités, diffusé de fausses informations. Ce fut le cas, à titre d’exemple, de cette femme à Oran interpellée fin mars pour avoir diffusé une vidéo sur Facebook annonçant que des personnes mises en quarantaine après leur rapatriement de France ont pu quitter le lieu de confinement grâce à des « connaissances ».

A LIRE AUSSI:   La France réitère ses appels à "la poursuite d’une transition démocratique" en Algérie

À la même période, un jeune homme a été arrêté dans la ville totalement confinée de Blida (au sud d’Alger) sur plainte du ministère du Commerce : il avait créé la panique en publiant des informations sur les réseaux sociaux annonçant la fermeture de toutes les stations-service. Mi-avril, deux suspects ont été arrêtés à Chlef (Centre-Ouest) pour avoir diffusé sur les réseaux sociaux une fausse mouture du projet d’amendement de la Constitution (chantier reporté par le président Tebboune à cause de la crise sanitaire) ainsi qu’une fausse correspondance officielle portant une signature falsifiée du ministre de l’Intérieur portant sur une prime de contagion et une prime de risque au profit des éléments de la Protection civile.

Pour le procureur général de la cour d’Alger, Mourad Sid Ahmed, « désormais chacun est responsable devant son clavier ». « On doit être responsable de nos faits, mais cela n’a rien à voir avec la liberté. Au contraire, la personne qui ramène une vraie information, documentée et matérialisée, comment peut-on la réprimer ? Démocratiquement, c’est impossible », a insisté le représentant du parquet algérois en défendant le projet de loi qui est passé devant les députés comme une lettre à la poste.

Une approche qui ne fait pas l’unanimité…

Mais ce vote a été boycotté par le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition). Le parti a réclamé le retrait du « projet de loi relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine » et des nouvelles dispositions du Code pénal contre les fake news, les qualifiant de « liberticides », tout en réclamant un débat général. « Sidérant ! Pendant que les gouvernements du monde entier convoquent, en sessions ouvertes, les organes délibérants de leurs nations et, au-delà, aident à mobiliser tous les cadres et les structures pour chercher les moyens d’affronter la pandémie du Covid-19, [le pouvoir] est chargé de combler les lacunes de l’arsenal répressif élaboré et mis en œuvre sous le règne de Bouteflika », dénonce le RCD.

A LIRE AUSSI:   Algérie : l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout a été placé en détention

« Dans le monde entier, il y a de fausses informations qui sont démenties selon les dispositions prévues dans les lois relatives à l’information. Les textes n’évoquent pas de délit et ne prévoient pas de peines aussi dures pour la publication d’une information qui serait fausse », fait remarquer l’avocat Abdelghani Badi dans un entretien à un média local. « C’est le pouvoir qui ne facilite pas l’accès à l’information. C’est ce qui laisse aussi la rumeur circuler. La rumeur sur un cas de coronavirus en prison n’aurait pas circulé si le directeur de prison avait parlé, par exemple », poursuit l’avocat.

… que les autorités essaient de justifier

Les autorités, de leur côté, tentent de rassurer : le 21 avril, le porte-parole du président de la République, Belaïd Mohand Oussaïd, a invité des journalistes au siège de la présidence (une première) pour une conférence de presse afin « d’apporter les informations justes pour battre en brèche les rumeurs et les informations tendancieuses », selon ses termes. « L’État s’emploie à la recherche des moyens les plus simples et les plus efficaces pour transmettre à l’opinion publique les nouvelles données liées à l’évolution de la situation, en veillant à lui garantir une information juste, précise et fiable via les canaux officiels et les médias publics », a déclaré le ministre de la Communication, Ammar Belhimer. « Belhimer siège comme coprésident de la Commission scientifique nationale de veille, de suivi et d’information aux côtés du ministre de la Santé et de celui de l’Industrie pharmaceutique », rappelle une source officielle. « C’est dire toute l’importance que les autorités donnent au volet information. »

A LIRE AUSSI:   « Le Covid-19 donne à l’Afrique l’occasion d’opérer un saut quantique dans le domaine sanitaire »

Lire aussi Coronavirus : l’Algérie adopte la chloroquine pour les cas graves

Des risques en plus pour les médias ?

Mais ces assurances suffisent-elles pour rasséréner les médias alors que trois sites d’information ont été censurés et ne sont accessibles que par VPN ? Pour le journaliste et fondateur du site Mena Défense, Akram Kharief, « le souci, c’est qu’en Algérie, l’information officielle n’est pas accessible au public, il n’y a pas d’opendata, et les mécanismes de communication institutionnelle sont très lents et ne répondent pas aux besoins de la presse. Ceci pousse les journalistes à travailler avec des sources off. Même recoupées, elles resteront contestées par les autorités, qui fait courir au professionnel de la presse le risque d’être accusé de propager des fausses nouvelles ».

« Aussi, rien dans le texte de la nouvelle loi ne définit ce qu’est une fake news ou ce que sont ces crimes d’atteinte à l’unité nationale ou de complot », explique-t-il au Point Afrique. « Le pire est que ces accusations peuvent cibler n’importe qui, y compris l’Algérien lambda qui ouvre un compte Facebook. Les autorités judiciaires n’ont même pas pris la peine de fixer, comme en Égypte, un seuil d’influence sur les réseaux sociaux », conclut Akram Kharief.

Source: Le Point Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

Read Previous

Guinée-Bissau : la Cedeao reconnaît la victoire d’Umaro Sissoco Embaló à la présidentielle

Read Next

Brazzaville prévoit un déficit budgétaire de plus d’un milliard d’euros en 2020