La cuisine au bois, un drame sanitaire en Afrique

Vieille dame tanzanienne dans sa cuisine dans les environs de Bukoba.

La pollution domestique liée à l’usage du bois et du charbon cause la mort de millions de personnes dans le monde et le continent africain est parmi les plus touchés.

Le paradoxe est que les pays africains producteurs de gaz, qui pourraient proposer une autre source d’énergie à leur population, ne sont pas épargnés. Le Tchad est de ce point de vue emblématique. 

Le gouvernement tchadien préférant privilégier l’exportation, le prix du gaz reste peu accessible pour les ménages qui n’ont pas une autre alternative que le bois.

« Le prix du gaz butane n’est pas à ma portée, c’est la raison qui me pousse à faire la cuisine avec le bois de chauffe, le charbon ou parfois les bouses des bœufs”, explique Hélène Adjoumadi, une jeune mère de famille interrogée par Blaise Dariustone, notre correspondant à N’Djaména. 

« Le gaz à mon avis c’est pour des gens qui ont de l’argent. Et puis son utilisation est très compliquée donc je préfère me débrouiller avec le charbon et le bois que je connais mieux”, poursuit-elle.

Confrontées de manière quotidienne à ces fumées toxiques dans des pièces mal aérées, les populations développent des maladies mortelles en respirant les particules fines de suie qui pénètrent dans les poumons. 

Les plus touchées sont les femmes et les enfants. 

Georgine Nadibai, âgée d’une quarantaine d’année, est ainsi obligée de se rendre régulièrement à l’hôpital général de N’Djamena pour des problèmes respiratoires.

« Cela fait plus de six mois que je fais des allers et retours ici pour un problème de bronchite”, explique-t-elle. « Le médecin m’a dit que c’est probablement lié à la fumée de la cuisine puisque je leur ai dit que je n’utilise pas le gaz. Depuis, je suis en train de suivre un traitement. Je ne savais pas que la fumée de la cuisine pouvait rendre malade.”

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime par ailleurs que « l’exposition à la pollution de l’air à l’intérieur des habitations multiplie presque par deux le risque de pneumonie chez l’enfant et cause 45% des décès d’enfants de moins de cinq ans. »

Mais ces enfants meurent en silence.

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Pourquoi ? Parce que si la question de la pollution de l’air est bien connue car elle touche les villes des pays industrialisés, celle de l’air dans les maisons, souvent en milieu rural, est plus rarement évoquée. 

Pourtant c’est le quotidien de millions d’Africains.

Cinq à sept millions de morts

Commençons par la pollution globale de l’air : atmosphérique et domestique. Celle-ci tue entre cinq et sept millions de personnes dans le monde. 

Les estimations diffèrent entre l’OMS et l’Institute for health metrics and evaluation (IHME) qui publie chaque année le Global burden of disease, la liste des causes de la mortalité mondiale.

Même en prenant l’estimation basse de l’IHME, la pollution de l’air tue donc cinq fois plus d’êtres humains pour l’instant que la pandémie de Covid-19. Pourtant l’impact médiatique entre ces deux crises sanitaires est incomparable.

Enfin, cette mortalité touche avant tout les pays en développement en Asie et en Afrique.

Infografik Luftverschmutzung weltweit gestorbene FR
La pollution atmosphérique globale touche en premier lieu l’Afrique et l’Asie.

Sur le continent africain, le nombre de morts lié à la pollution atmosphérique est dix fois supérieur aux moyennes rencontrées en Europe ou en Amérique du nord.

Sur la liste des pays les plus touchés, on trouve de nombreux pays francophones : Tchad, Guinée, République démocratique du Congo (RDC), Mali, Niger, Burkina Faso. La République centrafricaine (RCA) compte ainsi près de 200 morts pour 100.000 habitants alors que le taux est de 11,8 en France et 19,8 en Allemagne.

L’air pollué des maisons

Une grande partie de cette surmortalité est liée à la pollution dans les maisons, un problème qui touche avant tout les pays pauvres et les zones rurales. L’absence d’accès à des sources d’énergie propre et l’utilisation du bois de chauffe pour faire la cuisine en est la cause.

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Parmi les pathologies les plus fréquentes : pneumonies, cardiopathies ischémiques (muscle cardiaque insuffisamment approvisionné en oxygène), bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO, une maladie inflammatoire des bronches), AVC et cancer du poumon.

« Si la bronchopneumopathie chronique obstructive est plus souvent liée à la consommation de tabac, chez nous il s’est avéré que c’est l’utilisation de la biomasse, c’est-à-dire le charbon et le bois de chauffe, qui à long terme altère les voies respiratoires”, explique le docteur Ahmet Abdoulaye, pneumologue à l’hôpital général de N’Djaména, la capitale tchadienne.

L’OMS avance le chiffre de quatre millions de morts chaque année à cause de la pollution domestique. 

Dans les pays en développement, selon l’IHME, cela représente 6% des causes de mortalité. Au Tchad, ce rapport atteint près de 8%, en Guinée près de 9%.

Si on se réfère à la mortalité rapportée à la population, alors la proportion entre les pays africains et l’Europe donne cette fois un rapport d’un pour mille pour la pollution dans les maisons : 153 morts pour 100.000 habitants en RCA pour 0,28 et 0,09 en Allemagne et en France.

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La pollution domestique, un facteur grave de mortalité sur le continent.
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La mortalité liée à la pollution de l’air domestique augmente avec la pauvreté des pays.

Le manque d’accès à une énergie propre

La courbe précédente montre bien la causalité entre la richesse d’un pays et la mortalité liée à la pollution domestique : celle-ci augmente de manière exponentielle au fur et à mesure que le Produit intérieur brut par habitant diminue.

Des pays comme la Chine et l’Afrique du Sud ou le Sénégal et l’Inde ont d’ailleurs des situations très comparables dans cette équation entre richesse et mortalité.

En Europe, les débats autour du développement des énergies renouvelables et l’abandon des sources d’énergie fossiles fait oublier que dans les zones rurales africaines, la question n’est pas d’abandonner le pétrole mais le bois de chauffe.

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Au Tchad, malgré une subvention accordée par le gouvernement, le prix du gaz n’est toujours pas à la portée de nombreux ménages. Le bois est souvent récolté en brousse et ne coûte donc rien. Même chose pour le charbon de bois que les Tchadiens fabriquent souvent eux-mêmes.

En revanche, le gaz, vendu sous forme de bonbonnes de six ou douze litres, coûte environ 500 francs CFA le litre et les zones rurales ne sont pas approvisionnées.

L’argument économique est donc déterminant et explique la poursuite de cette hécatombe humaine.

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L’absence d’accès à une énergie propre est une cause directe pour développer des maladies respiratoires mortelles.

Enfin, le lien est clair entre l’accès à une source d’énergie propre et la chute de la mortalité liée à la pollution domestique.

Sur la courbe précédente, seuls le Bangladesh et le Nigeria voient leur mortalité se réduire par rapport au Sénégal alors qu’ils ont moins accès à des sources énergies alternatives. Ensuite, la courbe repart en pointe avec quatre pays souvent cités : la RDC, le Tchad, la Guinée et la RCA.

L’OMS estime qu’environ trois milliards de personnes « font la cuisine et chauffent leur logement à l’aide de foyers ouverts ou de simples poêles utilisant du kérosène ou de la biomasse (bois, déjections animales, résidus agricoles) et du charbon. »

L’accès à une source d’énergie plus propre – et le gaz en est une si on le compare au bois de chauffe – est donc un enjeu majeur pour réduire la mortalité liée à la pollution de l’air domestique.

La Banque mondiale estime que seulement 60% de la population mondiale a accès à une source d’énergie moins polluante. 

Mais cette moyenne est de 14% en Afrique et elle chute à… 3,13% au Tchad, 1,24% en Guinée et 0,96% au Mali.

Infografik Luftverschmutzung Zugang zur sauberen Energie Afrika FR

Source: Deutsche Welle Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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