Journée d’émotions en Tunisie

Les funérailles de Béji Caïd Essebsi provoquent une trêve politique et une concorde nationale. On loue sa stature d’homme d’État.

Le boléro de Ravel sur les ondes de RTCI, un animateur qui maîtrise difficilement son émotion, des audios de BCE sur Express FM, des sourates du Coran sur Zitouna… Depuis 48 heures, les radios rendent hommage au président de la République. Les quotidiens ont troqué l’impression en couleur pour un noir et blanc de circonstance. Les grandes entreprises, les banques, les assurances ont acheté des encarts publicitaires pour rendre hommage au défunt. Les panneaux publicitaires vidéo scintillent du drapeau tunisien, rouge, sur lequel se superpose le visage de BCE. La Tunisie salue son président avec une émotion réelle.

Un dispositif de sécurité qui file de Carthage à Tunis

La route qui mène au palais présidentiel a été coupée ce matin. Vers 9 heures, les cavaliers sont arrivés en grande pompe, ils escorteront le cercueil. Au sommet de l’État, on a promis des « funérailles exceptionnelles ». Sur la GP9, la 4 x 4 voie qui relie Tunis à la banlieue nord (Sidi Bou Saïd, La Marsa, Carthage), la circulation demeure, stoppée de temps à autre pour un invité de marque, fraîchement débarqué de l’accès VIP de l’aéroport. L’émir du Qatar et Emmanuel Macron ont fait le déplacement pour rendre hommage au premier président élu démocratiquement au suffrage universel direct. Plus loin, avenue Mohamed-V à Tunis, la police s’est disposée de chaque côté, avec aisance. On est rodé en Tunisie à ce genre d’exercices. En 2015, quelques jours après l’attentat meurtrier du Bardo, une marche s’était déroulée en présence de dirigeants du monde entier. C’était Béji Caïd Essebsi qui guidait le cortège.

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Le cimetière du Jellaz, dernière demeure de Béji Caïd Essebsi

Le corps a quitté l’hôpital militaire de Tunis la veille pour rejoindre le palais de Carthage. La population a ainsi pu rendre un premier hommage à son dirigeant, de nombreux citoyens l’ont salué alors que son cercueil était disposé dans un véhicule militaire. Le ministre de la Défense n’a pas quitté le président ces derniers jours. Les deux hommes étaient très proches. C’est l’armée qui a été chargée d’organiser l’enterrement. À 11 heures, le convoi funéraire quittera Carthage pour rejoindre le cimetière du Jellaz, où la famille Essebsi est enterrée. Un trajet d’une quinzaine de kilomètres qui s’effectuera à petite vitesse.

La foule pourra saluer une dernière fois celui qui la présidait depuis sa victoire à la présidentielle de décembre 2014.

Union nationale autour du défunt

Une « paix politique » s’est imposée d’elle-même en Tunisie. Elle sera fugace, mais elle est imposante. Les conflits d’hier autour de la loi électorale, d’une rare violence, ont laissé place au recueillement. On s’interroge sur le rôle de BCE dans l’évolution de la transition démocratique, on le salue comme « le père du consensus », cette alliance née début 2015 entre partis séculiers et le parti islamiste Ennahdha. Ceux qui avant-hier lui reprochaient encore ce mariage politique contre nature louent aujourd’hui son sens de la sagesse. L’homme s’en était expliqué au Point en octobre 2014, disant qu’en politique responsable il tenait compte des résultats des élections pour former une majorité. On parle depuis « d’exception tunisienne ».

Une pluie d’hommages internationaux

Outre les personnalités présentes aux funérailles, les témoignages sont venus du monde entier. De la Maison-Blanche à la Banque mondiale, de la Palestine (qui a décrété trois jours de deuil) à Bruxelles, on a souligné le rôle-clé de BCE dans l’instauration de la démocratie tunisienne, la seule du monde arabe. Le devoir d’inventaire attendra un peu. Côté rue, la population, il est difficile de dénicher un détracteur du défunt président de la République. Celui dont la cote de popularité n’a cessé de dégringoler, passant de 52 % de satisfaits (sondage Emrhod) en juillet 2015 à 23,7 % en juillet 2019, semble faire l’unanimité autour de sa stature. Les Tunisiens, peu avares lorsqu’il s’agit de fustiger leurs dirigeants, reconnaissent en ces jours de deuil que Béji Caïd Essebsi était « un homme d’État », qu’il savait « incarner l’Etat tunisien », qu’il était « respecté à l’international ». Des critères qui reviennent dans de nombreuses conversations. Le bilan économique – qui n’est pas de la responsabilité du président de la République mais du président du gouvernement – viendra plus tard. On reconnaît également à BCE sa culture, son aisance intellectuelle. Son cortège funéraire passera devant la statue équestre d’Habib Bourguiba, installée place du 14-Janvier à Tunis selon la volonté de BCE. Une avenue portera son nom dans la capitale. L’heure est à l’émotion, au recueillement, à la pudeur. Dès lundi, avancée de l’élection présidentielle oblige, les affrontements reprendront. Preuve que la démocratie tunisienne que BCE a incarnée poursuit sa route. Un patriarche s’en est allé.

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Source: Le point Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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