Haweya Mohamed : « La nouvelle matière de l’Afrique est le data »

Haweya Mohamed

Co-fondatrice d’Afrobytes, premier hub en Europe dédié à l’innovation technologique africaine, Haweya Mohamed, 41 ans, joue désormais dans la cour des grands. Depuis 2016, elle a lancé le Forum Afrobytes, qui rassemble une fois par an, à Paris, des acteurs de la tech provenant du monde entier tels que Facebook, le géant chinois Alibaba, Paypal, ou encore Vadaphone… L’objectif, aborder les différents enjeux autour des nouvelles technologies en Afrique et permettre à toutes ces firmes qui souhaitent y investir de développer leur stratégie. Une rencontre b2b qui séduit depuis sa création et offre de nombreuses opportunités d’affaires aux participants. Avant de devenir chef d’entreprise, Haweya Mohamed a entre autre travaillé à la direction de la radio RTL, été le chef de cabinet d’Alain Afelou, mais aussi la chargée de communication du président kényan Uhuru Kenyatta. Sans compter qu’elle a été chargée de développement de la stratégie de communication de la tournée en Afrique, en 2014, du roi du Maroc Mohammed 6 et même été reçue à l’Elysée par l’ex-Président français, François Hollande. Rencontre avec une femme hors norme. 

On ne sort jamais indifférent d’une rencontre avec Haweya Mohamed.

La Française d’origine somalienne, maman d’un petit garçon, s’exprimant toujours avec détermination et éloquence, a grandi en Seine et Marne, à Fontainebleau. Elle est issue d’une famille modeste de cinq enfants, élevée par une mère qui s’est retrouvée veuve alors qu’elle n’avait que l’âge de deux ans. Des épreuves qui la forgent. Très tôt, Haweya rêve, en effet, de prendre son indépendance pour soulager financièrement sa maman. Celle qui a fait des études d’anglais à l’université parisienne de Jussieu ne ménage pas ses efforts pour construire son parcours professionnel. Elle n’hésite pas à enchaîner les boulots pour acquérir de l’expérience, notamment au sein de la société de production française Endemol, où elle travaille comme assistante de direction pour l’émission d’Arthur, « Les enfants de la télé », ou encore les NRJ music awards… En 2005, à ses 27 ans, elle décide de tenter sa chance à Londres. Dès son arrivée, elle décroche un poste dans le groupe Channel 4 international, où elle est chargée de vendre des programmes à l’international tels que Desperate Housewifes ou encore Super Nanny à des chaînes de télé comme M6. Un travail qui lui permet d’échanger régulièrement avec le président du groupe M6, Nicolas de Tavernost. Remarquée grâce à ses compétences, RTL lui fait une proposition pour intégrer sa direction dans le service communication. Elle accepte et décide donc de rentrer en France en 2006 et fait ses premiers pas à la première radio de France en tant qu’assistante de production et chargée des relations publiques. Par la suite, elle est promue et nommée chargée de communication du président du groupe RTL jusqu’en 2011 avant de décider de quitter  son poste, estimant qu’elle avait fait le tour. Elle ne chôme pas et retrouve vite du travail. Elle devient chef de cabinet du célèbre opticien français Alain Afelou jusqu’en 2013, puis dépose ses valises à Casablanca, pendant huit mois, où elle est chargée de développer la stratégie de communication de la tournée en Afrique, en 2014, du roi du Maroc, Mohammed 6, avant de revenir en France pour se pencher sur son projet de création d’entreprise. Elle rencontre par le biais d’un ami, l’entrepreneur Ammin Youssouf, qui devient ainsi son associé, et avec lequel elle crée Afrobytes.

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Pouvez-vous nous présenter le concept d’Afrobytes ?

Afrobytes est une place de marché internationale et le seul événement qui rassemble les experts mondiaux de la tech africaine à Paris. Nous rassemblons sous un même toit, le meilleur des écosystèmes d’innovation d’Afrique anglophone et francophone, auxquels se joignent des acteurs venant d’Europe, des Etats-Unis et d’Asie. Chaque année, les grands noms de la Tech Mondiale tels que Paypal, Alibaba, Vodafone, Orange, Google, Facebook, Eutelsat, Kaspersky, SAP… et bien d’autres encore participent à notre événement pour accélérer leur stratégie africaine. Leur présence nous permet également de recenser les besoins des participants et de proposer nos services de consulting.

Qu’attendez-vous concrètement des rencontres Afrobytes ?

Nos principaux objectifs à travers ces rencontres c’est de créer un espace de business et pas seulement un espace de discussion. On a tendance à croire qu’il est facile aujourd’hui avec les réseaux sociaux de se rencontrer mais rien de tel qu’un espace rassemblant l’ensemble de la chaîne de valeur pour avancer dans sa stratégie. Paris est un point de connexion très stratégique. Il est plus facile et moins cher de faire Dakar-Paris que Dakar-Dar-Es-Salam et pour beaucoup rencontrer les acteurs qui participent à la croissance du digital en Afrique à Paris facilite et les encourage d’autant plus à faire le grand saut vers cette région du monde. Nos bureaux étant à la Station F, où tout un écosystème est à disposition sans filtre, nous mettons ce réseau dont nous profitons chaque jour à la disposition des acteurs de la tech du continent.

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Quelles sont les retombées depuis la première édition de votre évènement ?

Depuis la première édition, il y a eu de nombreuses collaborations Nord-Sud ou Sud-Nord, tout dépend de quel point de vue on se place. Mais ce dont je suis la plus fière, ce sont les collaborations qui ont pu se mettre en place au sein du continent même. Il y a eu des retombées presque partout dans le monde, des discussions avec des groupes auxquels nous n’avions pas accès comme Paypal qui est devenu un partenaire financier et chez qui nous ferons un événement le 16 mars 2020 à New York…. Pour continuer sur les Etats Unis, notre travail mais surtout l’impact de ce que nous faisons a été récompensé par le magasine le plus influent de la Silicon Valley, qui s’appelle Fast Company, puisqu’en en 2018, nous y avons été listés parmi les 100 personnes les plus influentes en business dans le monde. C’est un classement où il y a très peu de français et très peu d’Africains et encore moins de femmes africaines. Nous retournons donc aux Etats-Unis en mars, où nous serons notamment suivis par une équipe du Wall street journal.

Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre dans le domaine de la tech africaine ?

La dynamique du continent en 2014. Nous sommes allés voir un certain nombre d’incubateurs et tech hub de la région et on leur a demandé de quoi ils avaient besoin. La réponse fut unanime : visibilité, partenariat commerciaux et financements. Afrobytes est née avec cette volonté de paliers ces problématiques et de lever les obstacles.

Quel regard portez-vous actuellement sur les évolutions des nouvelles technologies en Afrique et leur impact dans le continent ?

Tout d’abord il y a 54 pays donc 54 situations économiques différentes. Néanmoins, la tendance est à une croissance forte. En à peine cinq ans, les choses ont fortement évolué. Par exemple, le nombre de start-ups sur le continent à la recherche de fonds a augmenté et leur qualité s’est également considérablement améliorée. La nouvelle matière première de l’Afrique est le data, et quand cette dernière se conjugue à une forte démographie, les enjeux deviennent énormes pour les grands groupes internationaux.

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C’est-à-dire ?

Les jeunes africains, futurs consommateurs connectés, deviennent ultra-attractifs pour tous les grands groupes. En 2030, les 15-24 ans seront 321 millions en Afrique et le continent sera par excellence celui des « Millenials ». Au vu de la croissance actuelle du taux de pénétration de l’internet mobile, des projets d’accès à internet pour des acteurs comme Google, Facebook ou bien d’autres encore, la question de la connectivité sera dépassée depuis bien longtemps. La Silicon Valley l’a très bien compris. Si vous avez analysé l’actualité de ces derniers jours, le patron de Twitter était sur le continent et compte bien s’y installer car l’Afrique et les Africains l’inspirent et pour lui le futur se joue en Afrique. De nouvelles routes économiques se mettent en place grâce à l’innovation et à la connectivité de plus en plus importante du continent. Le mouvement est donc lancé, s’accélère et sera sans aucun doute massif.

Les nouvelles technologies sont très présentes en Afrique. Mais selon-vous n’est-il pas paradoxal que malgré tout une majorité de la population africaine vive toujours dans de très grandes difficultés alors qu’elles sont censées améliorer son existence ?

C’est une question qui revient très souvent … Oui en effet, il y a comme partout des régions où c’est très difficile mais en même temps la population dont vous parlez possède un téléphone portable. Pas forcément un smartphone mais un appareil assez équipé pour qu’un agriculteur isolé puisse connaître les cours des produits qu’il cultive pour mieux les vendre sur les marchés, des téléphones assez équipés pour que les jeunes gens aient accès à des services et du contenu inaccessibles auparavant, à des cours ou simplement à quelques éléments d’informations qui amélioreront leur quotidien. Un appareil assez équipé qui leur permet via les réseaux sociaux de promouvoir leurs produits ou savoir-faire au delà de leur village ou pays…. Donc la technologie produit des effets positifs. Maintenant, il faut des politiques efficaces pour que le plus grand monde en Afrique puisse en bénéficier et voit considérablement son quotidien s’améliorer.

Propos recueillis par Assanatou Baldé, Afrika Stratégies France

Tribune d'Afrique

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