En République démocratique du Congo, la communauté LGBT plus que jamais 2.0

Le confinement a accentué l’usage des réseaux sociaux, a permis de militer de façon différente et de faire de nouvelles rencontres.

C’était un soir de confinement, Etienne*, 22 ans, qui venait d’installer l’application de rencontres Grindr sur son téléphone, a commencé à dialoguer avec Trésor*, « très gentil et poli ». Comme le courant passe bien, ils décident rapidement de se voir chez Trésor. Et comme souvent en République démocratique du Congo (RDC), la famille d’Etienne ignore son homosexualité. « Ils sont très croyants et me renieraient s’ils le savaient », explique le jeune homme.

Une fois chez Trésor, Etienne est en confiance : « Il était aussi beau qu’en photo. On a eu quelques ébats, mais ensuite il a complètement changé d’attitude, m’a demandé 200 dollars, sans quoi il me dénoncerait à ma famille ». Comme Etienne n’a pas assez d’argent, son rançonneur lui prend alors son téléphone et ses chaussures. Lui se dit « traumatisé », à l’issue de plusieurs semaines de larmes dans sa chambre.

Le phénomène des coming out forcés et de l’extorsion d’argent existe depuis des années en RDC, où l’homosexualité n’est pas pénalisée mais reste peu acceptée par la société. Mais il explose depuis le début de l’état d’urgence fin mars. Les bars et autres lieux de rencontres étant fermés, les rendez-vous se font dans la sphère privée, ce qui rend les utilisateurs des applications particulièrement vulnérables.

Parfois, la victime se fait carrément « tabasser » par ses agresseurs. « Ça peut être des homos ou des hétéros, qui ont juste envie de nuire », raconte Angelo, un activiste de l’association LGBT Jeunialissime.

Une militance bouleversée

Avant l’arrivée de l’épidémie, les personnes qui rencontraient des problèmes comme Etienne pouvaient se rendre au « Safe Space » de l’association Jeunialissime pour être soutenus. Mais depuis la mise en place de l’état d’urgence le 24 mars, les associations ont dû arrêter brutalement la plupart de leurs activités.

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Jeunialissime occupe une petite maison discrète dans Kinshasa, la capitale congolaise. Sur les murs de la cour, des peintures usées aux couleurs arc-en-ciel et un distributeur de préservatifs en libre-service. Scaly Kap’na, 34 ans, est le président de la structure, l’une des principales à défendre les droits LGBT dans le pays, depuis 2012. Elancé, il ouvre la porte de la petite maison. Les événements prévus par la structure, comme des ateliers de sensibilisation, ont été repoussés à une date inconnue.

Les activistes n’ont quasiment plus que leurs smartphones et ordinateurs pour militer. Scaly organise depuis avril des rencontres numériques pour pouvoir échanger avec le plus grand nombre. Le 17 mai, journée mondiale contre l’homophobie, un Facebook Live a permis à plusieurs militants de débattre pendant trois heures de la difficulté d’être ouvertement LGBT en RDC et en Afrique.

« Beaucoup de gens, curieux, sont venus poser des questions sur notre sexualité, raconte Scaly, qui modérait les commentaires. La discussion a parfois continué en privé car les préjugés tombent plus facilement quand on se parle directement. » Plusieurs « webinaires », réunions en ligne, ont aussi été organisés. Et ça a été une véritable première pour les activistes congolais.

Des groupes WhatsApp contre la détresse

Chez Oasis, une autre association kinoise, Julie Makuala s’est aussi adaptée rapidement et les réunions de groupe prévues pour discuter de l’accès à la procréation pour les femmes LBT ont été remplacées par des questionnaires en ligne.

La page Facebook de Jeunialissime est toujours accessible et les messages privés affluent. Pour demander du soutien psychologique, des conseils de cœur, mais aussi pour des cas plus graves. Les moqueries, insultes ou reproches se font plus vifs pour les personnes confinées avec leur famille, sans possibilité d’aller prendre l’air et voir des amis.

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Certaines ont même été chassées de chez elle dans un pays où il n’existe pas encore de vraie structure d’accueil, faute de financement. Mais les associations restent à l’écoute et cherchent des solutions, quitte à mettre des lits dans leurs bureaux, comme l’association Rainbow Sunrise Mapambazuko, à Bukavu.

Grâce à des groupes WhatsApp communautaires, les activistes peuvent aussi signaler les violations des droits humains. « La situation était déjà difficile en termes de stigmatisation, mais elle a vraiment empiré depuis le début du Covid », explique Jérémie Safari, coordinateur de Rainbow Sunrise Mapambazuko, à Bukavu.

A la radio, des pasteurs clament que la maladie est une punition divine en réaction aux pratiques LGBT et Jérémie raconte que trois transgenres ont été battus sur le marché début juin.

Les groupes WhatsApp permettent également de venir en aide aux personnes en détresse dans les villes qui ne disposent pas d’association locale. A Mbuji-Mayi, dans le Kasaï, plusieurs ont eu besoin d’une médiation pour pouvoir réintégrer leur famille, raconte Apal Bahirwe, qui gère l’association Vision d’aigle à Lubumbashi, à plus de 1 000 kilomètres du Kasaï.

Même si tous les activistes ont hâte de retourner à la « vie normale », la vie virtuelle va continuer aussi. Comme une vie parallèle.

Source: Le Monde Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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