Déjà deux mois de nouvelle guerre civile en Libye

RFI Libye: la guerre des milices disperse les forces du gouvernement d’union

Le seigneur de la guerre Haftar, en tentant en vain, le 4 avril, de s’emparer de la capitale, a déclenché en Libye une nouvelle guerre civile.

Des forces loyalistes attaquées, au nord de Tripoli, le 12 avril 2019

Khalifa Haftar, proclamé « maréchal » à la tête de sa milice, la bien-mal nommée Armée Nationale Libyenne (ANL), est depuis 2014 l’homme fort de l’Est libyen. Alors que l’ONU négociait patiemment son inclusion dans un partage durable du pouvoir, Haftar s’est cru capable de conquérir par les armes la totalité de ce pouvoir. Il a alors lancé, le 4 avril, une offensive contre Tripoli, siège du gouvernement reconnu par la communauté internationale. Cette campagne, vite enlisée, a déclenché la troisième guerre civile en Libye depuis le soulèvement anti-Kadhafi de 2011 (et la deuxième à l’initiative de Haftar, qui avait déjà tenté, en 2014, d’imiter en Libye la prise du pouvoir par le dictateur Sissi en Egypte). Au-delà du bilan humain (près de six cents morts et quelque 80.000 déplacés), ces deux mois d’un conflit toujours ouvert s’avèrent à maints égards désastreux.

LE PROCESSUS DE PAIX TORPILLE

La première victime de l’offensive anti-loyaliste de Haftar a été le processus de paix mené sous l’égide du représentant spécial de l’ONU, Ghassan Salamé. La conférence de réconciliation, programmée à la mi-avril, et très attendue par la population civile, a dû être annulée du fait de la reprise des combats. La mobilisation générale contre Haftar à Tripoli a favorisé le retour dans la capitale de différentes milices dont Salamé était pourtant parvenu, durant les mois précédents, à neutraliser l’influence. Cette régression milicienne s’est accompagnée d’une montée en puissance des islamistes dans tout le pays: du côté loyaliste, ils ont repris les slogans « révolutionnaires » de la première et de la deuxième guerres civiles, assimilant Haftar au despote déchu Kadhafi; du côté de Haftar, des milices salafistes constituent une partie de ses troupes de choc, un commandant étant même recherché par la Cour Pénale internationale (CPI) pour « crime de guerre ».

Alors que les Frères musulmans libyens étaient tout à fait disposés à pactiser avec Haftar, celui-ci qualifie l’ensemble de ses adversaires de « terroristes », qu’ils soient ou non islamistes. Il inscrit explicitement sa campagne contre Tripoli dans le cadre de la mobilisation (contre le dit « terrorisme ») de ses trois puissants alliés, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte. Encouragé également en ce sens par le Kremlin, Haftar a en outre reçu le mois dernier le soutien inédit de Donald Trump, là aussi au nom de la lutte contre le « terrorisme ». Les parrains étrangers de Haftar ont régulièrement violé l’embargo de l’ONU sur les livraisons d’armes en Libye pour étoffer l’arsenal de leur protégé. Quant à l’ANL, elle est épaulée par des milliers de miliciens venus du Soudan et du Tchad. Cette internationalisation du conflit a naturellement alimenté en retour l’activisme de la Turquie et du Qatar, ruinant les efforts de l’ONU pour endiguer les ingérences étrangères et rapprocher ainsi les seules parties libyennes.

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LA FRANCE PIEGEE PAR SES CONTRADICTIONS

Le président Macron, qui avait accueilli en 2017 et 2018 deux rencontres de conciliation entre Sarraj et Haftar, n’a rien fait pour empêcher l’offensive de l’ANL contre la capitale. Cette passivité a été dénoncée dans le camp loyaliste comme une complicité au moins tacite avec Haftar, d’où une hostilité désormais palpable à Tripoli à l’encontre de la France. L’Elysée, accusé d’avoir « perdu l’équilibre » en Libye, s’est efforcé de rétablir sa position de médiateur. Mais l’entretien entre Macron et Sarraj, le 8 mai, s’est déroulé en tête-tête, alors que sa rencontre du 22 mai avec Haftar s’est tenue en présence de Jean-Yves Le Drian, très favorable au « maréchal » libyen au Quai d’Orsay, comme auparavant à la Défense. Le président français a pris acte du refus de Haftar de cesser les hostilités, sans même l’avertir publiquement des conséquences funestes d’un tel entêtement. Haftar s’est d’ailleurs livré depuis Paris à une virulente campagne de dénigrement de l’ONU et de son envoyé spécial Salamé. Que la France n’ait pas, à elle seule, les moyens de ramener le calme en Libye est une chose; qu’elle s’enferre depuis deux mois dans sa complaisance envers Haftar en est une autre. Il est pourtant évident que le conflit ouvert par Haftar en Libye ne peut qu’y retarder toute forme de solution durable, tant il favorise à la fois le retour des milices, la poussée aux extrêmes et les ingérences étrangères. En outre, cette nouvelle guerre civile alimente en Libye une escalade militariste alors même que, dans les deux pays voisins que sont l’Algérie et le Soudan, un vaste mouvement pacifique et populaire s’efforce justement de faire mentir la fatalité des dictatures. Enfin, la descente aux enfers de la Libye complique sensiblement la lutte déjà ardue de la France contre la menace jihadiste dans la région.

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Il n’est sans doute pas trop tard pour tirer les leçons d’une évolution aussi calamiteuse.

Source: Le monde

Mis en ligne par: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

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