CPI : al-Mahdi demande « pardon » pour la destruction des mausolées de Tombouctou

Le jihadiste malien était ce 12 octobre devant les juges de la CPI pour demander une libération anticipée. Condamné en 2016 à neuf ans de prison pour avoir détruit ce site du patrimoine mondial, il s’est présenté comme « un repenti ».

Un « repenti » dont le « remord a éveillé [la] conscience et [le] coeur ». Devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI), Ahmad al-Mahdi s’est présenté en « homme changé ». Au cas où les discours ne suffiraient pas à convaincre l’auditoire, le Malien de 46 ans s’est même métamorphosé physiquement. Débarrassé de sa longue toison bouclée, il est apparu le cheveux ras, sanglé dans un costume gris. Ce mardi 12 octobre, il est venu demander à la Cour une libération anticipée. Il en a le droit : cet ancien du groupe terroriste Ansar Dine a purgé les deux tiers des neuf ans de prison auxquels il a été condamné pour avoir détruit les mausolées de Tombouctou.

Sujet d’un jugement historique qui qualifiait pour la première fois l’anéantissement d’un patrimoine culturel de « crime de guerre », Ahmad Al Faqi al-Mahdi l’assure : il s’est « entièrement dissocié du crime » et ne compte pas y revenir. Plus encore, il assure vouloir tout faire pour contribuer à lutter contre l’extrémisme religieux « dans quelque société où il se trouvera », a plaidé sa défense. « Ma conscience s’est maintenant éveillée et j’espère pouvoir à l’avenir contribuer à la préservation des mausolées, des manuscrits, pour atténuer la douleur de mes frères qui ont souffert de ces atrocités », a fait valoir al-Mahdi. Après avoir « étudié les mathématiques et l’ informatique, appris l’anglais, pratiqué la musique, le yoga, le dessin et les échecs » dans sa prison écossaise, il s’est dit prêt à devenir « un bon citoyen ».

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« Le pardon, une des clés du paradis »

À plus de 5000 kilomètres de là, les Maliens suivent depuis six ans la saga judiciaire. Près d’un millier d’entre eux se sont constitués parties civiles. Certains sont les descendants de saints inhumés dans les mausolées de Tombouctou, d’autres sont imams, représentants religieux. Il y a aussi de simples citoyens, dont l’activité économique reposait sur le patrimoine historique de la « ville aux 333 saints ».

De Tombouctou à Bamako, le repentir d’Ahmad al-Mahdi a été assez bien accueilli. « Les excuses renouvelées d’al-Mahdi constituent un geste positif et de nature à apaiser le cœur des victimes des crimes qu’il a commis. Néanmoins, c’est à elles qu’il appartient de les apprécier et, éventuellement, de les accepter. Je sais que plusieurs d’entre elles attendaient ce moment, mais il s’agit de sentiments individuels et d’un processus qui demande du temps », a ainsi réagi à l’issue de l’audience Mama Koité Doumbia, présidente du Fonds au profit des victimes de la CPI, qui a dédommagé 800 personnes.

Harber Kounta, un Tombouctien héritier d’un mausolée de la cité, veut lui aussi y voir une manière de clore le chapitre et « d’avancer vers la réconciliation ». « En tant que Musulmans, on nous a enseigné que le pardon était l’une des clés du paradis. Ce dont ont besoin Tombouctou en particulier et le Mali en général, c’est de paix et de réconciliation », explique-t-il, jugeant même que « du moment où al-Mahdi a reconnu ses fautes et que nous acceptons de le pardonner, on peut le libérer ».

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« Tombouctou s’est toujours relevée »

Alors que les mausolées sont ressortis de terre, rebâtis selon une tradition héritée du XIVe siècle, les Tombouctiens veulent croire à une renaissance. « En 2012, leur destruction a été très douloureuse. Mais notre ville a été maintes fois convoitée, pillée et occupée dans son histoire. Elle s’est toujours relevée, cette épreuve ne doit pas faire exception. La reconnaissance de la destruction de notre patrimoine comme “crime de guerre” a été un signal fort de la justice internationale à l’égard des Maliens. Désormais, nous voulons le retour de la sécurité afin que les touristes retrouvent le chemin de Tombouctou », défend Harber Kounta, qui est aussi agent touristique.

DIEU PARDONNE, ET NOUS PARDONNONS AUSSI, MAIS LES IMAGES RESTENT

Si elle n’a jamais eu le droit de pénétrer ces édifices réservés aux hommes, Hamsatou* conserve « une grande déchirure au coeur ». Cette descendante de Sidi Mahmoud, dont le mausolée avait été démoli en 2012, a suivi les excuses d’al-Mahdi depuis la capitale malienne, où elle réside. Si elle accepte de pardonner, elle souhaite obtenir des gages des autorités en cas de libération anticipée de l’ancien lieutenant d’Ansar Dine. « S’il était libéré, j’aurais des réserves quant à son retour à Tombouctou. On ne peut pas oublier ce genre d’événements, et il existe une crainte légitime de voir l’histoire se répéter. Dieu pardonne, et nous pardonnons aussi, mais les images restent », confie-t-elle. Son appel fait écho à celui des avocats des victimes qui, mardi 12 octobre à La Haye, demandaient à la Cour de tout faire pour « apaiser les inquiétudes des parties civiles ».

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En attendant que la CPI se prononce dans les prochaines semaines sur sa demande libération anticipée, Ahmad al-Mahdi, lui, cherche à rassurer la communauté de Tombouctou. « Je voudrais revenir à vous en tant que fils de ce pays […]. Je voudrais confirmer que je serai toujours là, aux côtés de la population de Tombouctou afin de promouvoir la sécurité et la paix. »

Source: Jeune Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

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