Au Gabon, des scientifiques sur la piste des virus émergents

Des chercheurs du Centre interdisciplinaire médical de recherches de Franceville effectuent des prélèvements buccaux et rectaux sur des chauves-souris dans la grotte de Zadié, au Gabon, le 25 novembre 2020. STEEVE JORDAN / AFP

Des chercheurs arpentent la forêt vierge pour étudier les chauves-souris, suspectées d’être à l’origine de la plupart des épidémies transmises à l’homme, dont le Covid-19.

Est-ce un film de science-fiction ? Une série dystopique ? Six hommes en combinaison jaune, couverts de la tête aux pieds, grimpent laborieusement vers une cavité perdue au cœur de la forêt vierge, à la recherche de virus émergents. Ces chercheurs du Centre interdisciplinaire médical de recherches de Franceville (CIRMF) se rendent dans la grotte de Zadié, dans le nord-est du Gabon, pour étudier les chauves-souris, suspectées d’être à l’origine de la plupart des épidémies transmises à l’homme ces dernières années : le SRAS en 2003, le MERS en 2012, Ebola et aujourd’hui le SARS-CoV-2, à l’origine du Covid-19 qui paralyse la planète.

Le chemin est jonché d’humus, d’écorces et de feuilles roussies qui exhalent le parfum de la forêt vierge de ce pays dont le climat tropical, chaud et humide, et la faune luxuriante offrent un terrain particulièrement favorable à la prolifération de virus, ce dont n’ont pas conscience les populations locales. Mais peu à peu, l’odeur de la terre humide laisse place à celle du guano, les excréments des chauves-souris. D’abord légère, elle devient suffocante. L’air se fait irrespirable. Des abeilles et des papillons aux reflets argentés tournoient près des visages concentrés des chasseurs de virus. Sous la combinaison, la chaleur est étouffante. La sueur perle sur les lunettes de protection des chercheurs. Au-dessus d’eux, la cime des arbres se perd dans des nuages menaçants et les lianes semblent descendre du ciel.

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Soudain, comme une bouche ouverte sur la forêt, l’entrée de la grotte apparaît. Un flot bruyant de chauves-souris s’échappe du trou noir béant. Leurs déjections recouvrent d’un épais manteau blanc glissant le sol et les parois rocheuses. « Tirez ! », ordonne le professeur Gaël Maganga, jusqu’à ce que le filet servant à capturer les mammifères soit tendu sur toute la largeur. Les animaux sentent la présence des visiteurs. Le flux se tarit légèrement. Mais lorsque l’un des scientifiques s’avance et allume sa lampe torche, une nuée de chauves-souris fonce vers la sortie et le piège se referme sur elles. Les prélèvements peuvent commencer.

Un réservoir de 1,7 million de virus inconnus

« C’est quel sexe ? Il est jeune lui ! », s’exclame M. Maganga, enseignant-chercheur à l’université de Franceville, la troisième ville du pays. A l’aide d’écouvillons stériles, il effectue des prélèvements buccaux et rectaux. « Notre travail consiste à identifier les agents pathogènes qui pourraient représenter un danger pour les populations humaines et comprendre les transmissions inter-espèces », explique à l’AFP le scientifique, également codirecteur de l’unité Emergence des maladies virales du CIRMF, qui abrite l’un des deux laboratoires P4 d’Afrique, une classification internationale autorisant la manipulation des virus les plus dangereux dans ces bâtiments hermétiquement clos.

Le 29 octobre, le groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES) prévenait dans un rapport que les pandémies comme le Covid-19 allaient se multiplier et faire de plus en plus de morts, évoquant un immense réservoir de 1,7 million de virus inconnus dans le monde animal, dont 540 000 à 850 000 « auraient la capacité d’infecter les humains ». D’ailleurs, 70 % des nouvelles maladies (Ebola, Zika) et « presque toutes les pandémies connues » (grippe, sida, Covid-19) sont des zoonoses, c’est-à-dire issues de pathogènes animaux.

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« Il faut arrêter de penser que l’homme est d’un côté et l’animal de l’autre. En matière de santé, ce qui se passe chez l’un va avoir un impact chez l’autre. Protéger la faune sauvage, protéger la nature, c’est protéger l’homme », souligne Pauline Grentzinger, vétérinaire du Parc naturel de la Lékédi, qui œuvre pour la préservation de la biodiversité, tout près de Franceville. « Les comportements humains sont souvent à l’origine de l’émergence de virus. Aujourd’hui, avec la pression démographique, l’intensification de l’agriculture ou encore la chasse, les contacts entre les humains et les animaux sont de plus en plus fréquents », renchérit le professeur Maganga.

Des chauves-souris porteuses du virus Ebola

Au Gabon, toutes les épidémies d’Ebola se sont déclarées dans la région de la grotte de Zadié, tout près de la frontière avec le Congo-Brazzaville. Les chercheurs du CIRMF y ont prélevé des chauves-souris porteuses du virus, ce qui leur a permis de découvrir que l’animal était l’organisme hôte à l’origine de l’épidémie. Le professeur Maganga a également mis en évidence la présence d’un certain nombre de coronavirus en circulation chez ces chauves-souris, dont certains proches de coronavirus humains.

Pourtant, cela n’empêche pas les villageois des alentours de pénétrer dans les grottes pour chasser la chauve-souris, tout comme l’antilope, la gazelle ou encore le singe. Au Gabon, malgré l’interdiction en avril de la vente de pangolin et de chauve-souris, les villageois continuent de traquer les animaux sauvages pour s’assurer un moyen de subsistance dans cette région reculée. « En une nuit, je peux gagner ce que je gagne en un mois », plaide Aristide Roux, 43 ans, habitant un village proche de la grotte, qui expose sur un tronc coupé en bordure de route une gazelle tuée dans la nuit. Le Covid-19 ? « Il n’est pas encore arrivé jusqu’au village », tranche le chasseur.

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Pour Just-Parfait Mangongwé, un autochtone de 20 ans membre de l’équipe du CIRMF, les gens de son village « ne croient pas » aux virus. D’où l’importance de « sensibiliser ces chasseurs qui vivent depuis toujours de cette ressource », estime le professeur Maganga.

Source : Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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