Après le Hirak, le coronavirus : en Algérie, les entreprises tirent la sonnette d’alarme

Face à la propagation du nouveau coronavirus en Algérie, les autorités ont interdit mardi soir les manifestations du hirak, le mouvement de contestation au sein même duquel des voix demandaient une suspension de la mobilisation, ininterrompue depuis un an. © Billal Bensalem / NurPhoto

Le patronat dénonce la « fragilité » de l’économie et la « mauvaise gouvernance » des autorités, qui tardent à prendre des décisions pour sauver les PME et l’emploi.

Les mesures de confinement ont paralysé une partie de son activité. Difficile d’avoir accès aux administrations ou aux fournisseurs, et certains de ses employés ne peuvent même plus se déplacer. « Comme il n’y a pas d’aide spécifique pendant la période d’arrêt, j’ai voulu reprendre les travaux là où c’était possible. Mais les salariés n’ont pas souhaité recommencer, de peur de contracter le virus », raconteMeziane*, jeune patron d’une entreprise de BTP à Alger. Face à cette situation, il a fermé et « prépare la reprise », inquiet de la suite : « Je ne sais pas combien de temps je vais tenir. L’année 2019 avait déjà été chaotique pour nous. »

En Algérie, l’impact de l’épidémie liée au coronavirus sur l’économie préoccupe des entrepreneurs déjà très fragilisés. Depuis 2014, la baisse des cours du pétrole a progressivement amoindri le budget de l’Etat et fait fondre les réserves de change. Le gouvernement a réduit les dépenses, gelé des projets, diminué les budgets de fonctionnement. En 2019, la paralysie décisionnelle liée au Hirak, le mouvement de contestation antigouvernementale, et à l’arrestation de responsables de banques et de grandes entreprises avait déjà poussé 60 % des entreprises du BTP à mettre la clé sous la porte, selon la Confédération des industriels et producteurs algériens (CIPA).

Le 8 mars, l’Association générale des entrepreneurs algériens (NAGEA) estimait qu’entre 20 000 et 25 000 entreprises de ce secteur étaient à l’arrêt, 200 000 salariés au chômage, et que la vente de matériaux de construction avait plongé de 90 %. « Sans demande publique, nos entreprises ne travaillent pas », alertait Mouloud Kheloufi, président de l’AGEA.

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Le FCE demande une « amnistie fiscale »

Le paiement des travaux déjà effectués pose aussi problème. « Un versement du Trésor prend au minimum cinq mois », déplore le chef d’une PME qui travaille avec le ministère de l’enseignement supérieur. « Le recouvrement des factures dues par l’Etat est un calvaire. Mais sans trésorerie, comment j’affronte la crise ? », interroge-t-il. Dans un rapport remis aux autorités en décembre 2019, le Forum des chefs d’entreprises (FCE, la principale organisation patronale) affirme que les sociétés du BTP subissent des « retards de paiement » qui « persistent depuis plus d’une année », de la part de « tous les maîtres d’ouvrage » de l’Etat.

« Cette crise sanitaire, aggravée par l’effondrement des prix du pétrole, va compliquer la situation. Elle nous rappelle la fragilité de notre économie, qui découle d’une mauvaise gouvernance », a déclaré Sami Agli, le président du FCE, à la radio nationale le 30 mars.

Les autorités ont bien annoncé quelques mesures. Depuis le 22 mars, la moitié des employés des administrations et institutions publiques sont en congés payés. Le 17 mars, la direction générale des impôts a décalé au 20 avril l’obligation de paiement des taxes et impôts mensuels des entreprises du mois de mars. Enfin, le 7 avril, la banque centrale a annoncé aux établissements financiers « le report du paiement des tranches de crédit arrivant à échéance » ou le « rééchelonnement des créances » des clients soumis à « la conjoncture induite par le Covid-19 ».

Ces mesures ne satisfont pas. En Algérie, 63 % des salariés travaillent dans le secteur privé et la grande majorité du tissu économique est constituée d’entreprises de moins de dix salariés, qui ont peu accès aux crédits bancaires. Les organisations patronales estiment qu’il faut des mesures fiscales urgentes. Ainsi, Sami Agli demande une « amnistie fiscale pour une période de quelques mois » et dénonce le maintien des pénalités de retard pour les entreprises qui ont soumissionné à des marchés publics mais « n’arrivent pas à faire venir leurs employés ».

« Les sociétés ont gelé leurs projets »

« On me demande, à moi, de payer mes impôts pour financer les salaires des employés du secteur public, qui créent peu de valeur ajoutée : je ne trouve pas ça normal. Le privé n’est pas considéré comme un acteur important si tu n’es pas proche des cercles de décision, dénonce Othmane*, patron d’une entreprise de services qui emploie sept personnes. Je pourrais m’organiser pour travailler, avoir des rentrées d’argent et payer les salaires. Mais comme aucune décision n’est annoncée, les sociétés ont gelé leurs projets pour maintenir de la trésorerie, par précaution. »

A la tête d’une entreprise d’export, Rafik* est « à sec » depuis février. « Sans e-paiement, avec un débit Internet bas… Ici, le télétravail n’est pas une alternative. De toute manière, je ne peux pas me projeter et travailler sur l’après-Covid-19 puisqu’il n’y a pas de visibilité », regrette-t-il. Après avoir passé l’année 2019 à « patienter », il avait repris espoir lorsque, après l’élection présidentielle du 12 décembre, plusieurs investisseurs s’étaient dits « prêts à investir ». « Mais là, c’est mort », souffle-t-il, déçu.

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Rafik a bien du mal à comprendre cette absence de décision : « Puisqu’il y a un arrêt mondial des circulations, il faut lancer une réflexion sur ce qu’on pourrait faire fonctionner. Dans l’agroalimentaire, 17 produits ont été interdits à l’export depuis l’Algérie, alors qu’on aurait pu saisir cette chance pour alimenter certains marchés à l’international. Il reste des brèches d’opportunités que nous pourrions saisir, mais on ne le fait pas. »

Source: Le Monde Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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