Algérie : « Les défis sont autant de pistes pour réformer notre système de santé »

Le ministre de la Santé Abderrahmane Benbouzid, lors de la conférence de presse quotidienne de présentation des données statistiques du Covid-19, ici le 23 mars 2020. © © DR

Du dispositif de l’Algérie contre le Covid-19 aux réformes envisagées pour l’après, Abderrahmane Benbouzid, ministre algérien de la Santé, répond.

Installé début janvier dernier comme ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, le professeur Abderrahmane Benbouzid fait face avec ses équipes à la crise pandémique qui frappe le pays. Praticien apprécié par ses collègues, l’homme ne « s’est pas contenté de rester dans son bureau », comme le confie l’un de ses anciens collègues de bloc. Chirurgien orthopédiste de formation, ancien chef de service d’orthopédie et de traumatologie, Benbouzid a élaboré un plan anti-Covid-19 qui commence à donner des résultats « encourageants », avec une certaine stabilité dans les statistiques quant aux contaminations et, surtout, aux décès. Il en est de même de l’application du protocole thérapeutique basé sur l’association hydroxychloroquine-azythromycine qui donne des résultats positifs. Mais il est trop tôt pour crier victoire, d’autant que le confinement en cette période de ramadan reste difficile à faire appliquer.

Le Point Afrique : Pourquoi « l’Algérie n’a pas connu le scénario catastrophe » et connaît, toujours selon vos termes, une « nette stabilité » de la propagation du virus ?

Abderrahmane Benbouzid : Avant tout, il faut rappeler que le défi représenté par le Covid-19, qui est devenu une pandémie mondiale brutale, a non seulement ébranlé nos systèmes de santé, mais également mis à rude épreuve tous les gouvernements de ce monde. Pour nous, chaque nouveau cas, chaque décès est un drame individuel, familial et collectif, et je profite pour réaffirmer notre compassion et notre solidarité avec tous ceux qui ont vécu dans leur chair ces douloureuses expériences.

Notre pays n’y a pas échappé et a dû, malgré sa situation difficile, prendre, le plus précocement possible, les mesures pour y faire face. Ces mesures se sont inscrites dans le cadre de recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et se sont voulues adaptées à notre contexte national. Elles se sont traduites par une mobilisation totale du gouvernement et de l’ensemble des acteurs de la riposte avec, au premier rang, l’ensemble du personnel de santé auquel je rends un hommage particulier.

Cette riposte s’est articulée autour de trois axes majeurs. Premièrement : la prévention, dont les actions ont été soutenues. Deuxièmement : la surveillance active, le dépistage précoce par la PCR et la prise en charge rapide des cas avec le protocole thérapeutique basé sur l’association hydroxychloroquine-azythromycine, qui ont été entrepris, dès le début de l’épidémie, de façon résolue et dans un souci de décentralisation. Enfin, le confinement de la population, qui a été mis en œuvre précocement, alors que l’Algérie ne comptait que près de 200 cas, et ce de façon adaptée à l’évolution de l’épidémiologie locale. Cette stratégie nationale nous a permis de ne pas connaître la pression qu’ont eu à subir d’autres systèmes de santé et l’analyse post-épidémie pourra, je l’espère, dire le pourquoi de cette physionomie différente de l’épidémie. On peut évoquer quelques pistes de réponse : la structure démographique de notre population avec moins de sujets âgés qu’en Europe ? La mise en place relativement précoce du confinement au sein des zones-foyer de Covid-19 ? L’adoption, très tôt, du traitement par hydroxychloroquine-azithromycine ? Le génie évolutif de ce virus ?

Quant à la stabilité que vous évoquez, elle s’appuie sur les chiffres des derniers jours qui montrent une tendance générale à la stabilisation du nombre de cas et à la baisse du nombre de décès. Mais nous restons extrêmement prudents quant aux conclusions à tirer, cette épidémie ayant montré qu’elle pouvait rebondir et défier à nouveau les systèmes de santé, comme au Japon. La prudence, c’est aussi le respect par tous des mesures de confinement, d’hygiène individuelle, de protection dans les lieux publics et de distanciation physique.

Comment appréhendez-vous la période du ramadan en Algérie ? Faire respecter les règles du confinement ne sera-t-il pas plus compliqué en cette période de forte affluence dans les lieux publics et de réunions familiales ?

Ceci nous pose un autre défi dès lors qu’il s’agira pour nous de voir comment concilier les pratiques séculaires du ramadan et la sécurité des personnes avec cette pandémie de Covid-19, sans oublier les risques de santé propres aux personnes âgées et/ou souffrant de maladies chroniques.

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La question « santé et ramadan » est, tout d’abord, partie intégrante de nos programmes nationaux de santé et fait l’objet, chaque année, en collaboration avec le secteur des affaires religieuses, d’actions de prévention et de conseils qui viennent rappeler le respect de mesures de précautions pour préserver la santé des populations les plus vulnérables. Cette année, il nous faudra en plus concilier les mesures de précaution sanitaires aux mesures de confinement afin de limiter la propagation du coronavirus, et ce, d’autant que nous enregistrons, à la veille de ce mois de ramadan, des résultats encourageants qu’il nous faudra préserver. Aussi, en concertation avec le ministère des Affaires religieuses, nous nous attellerons, dans le souci de permettre à nos citoyens de passer un mois de ramadan en toute sécurité, à rappeler, d’une part, le strict respect des mesures d’hygiène et de distanciation physique, et d’autre part l’application des recommandations des médecins en ce qui concerne la pratique du jeûne pour les malades atteints du Codiv-19 et/ou souffrant de maladies chroniques.

Je profite pour rappeler à nos citoyens qui ont fait preuve d’une prise de conscience importante dans le respect des mesures de prévention et de confinement de poursuivre leurs efforts en ce mois de recueillement, de piété et de solidarité.

Quelle stratégie adoptera le gouvernement pour la sortie prochaine du confinement ?

Cette stratégie fait actuellement l’objet d’un examen approfondi des différents scénarios possibles par le comité scientifique. Elle fera également l’objet d’une large concertation au sein du gouvernement avec tous les secteurs concernés. Elle devra être nécessairement organisée et adaptée à la situation épidémiologique locale. Cependant, les résultats encourageants que l’Algérie enregistre actuellement devront être préservés, et je réitère mon appel à la vigilance et à la poursuite sans relâche du strict respect des mesures de prévention et de confinement.

Peut-on établir déjà un bilan du recours au protocole de la chloroquine pour les patients algériens ?

Certes, il est tôt pour tirer des conclusions relatives aux résultats du protocole hydroxychloroquine-azytrhomycine que l’Algérie a adopté de façon précoce et encadrée avec une prescription en milieu hospitalier et une surveillance médicale stricte. Cependant, les éléments recueillis montrent une satisfaction chez les praticiens du terrain, comme en témoigne, d’une part, le nombre de patients mis sous ce protocole qui s’élève, à ce jour, à 5 433, et, d’autre part, le nombre de patients guéris qui est en augmentation constante et qui a contribué à libérer des lits d’hospitalisation, à réduire les transferts en réanimation et éviter, ainsi, la surcharge de nos hôpitaux.

Masques, solution hydroalcoolique et respirateur : l’Algérie a-t-elle à disposition les moyens qu’il faut pour gérer cette crise sanitaire ? L’Algérie compte fabriquer elle-même ses propres tests de dépistages. Où en est ce projet ?

Grâce aux stocks disponibles et aux mesures urgentes de réapprovisionnement engagées, les moyens nécessaires, actuellement, disponibles nous permettent de faire face à cette crise sanitaire. D’ailleurs, plusieurs de ces moyens sont produits localement, il s’agit notamment des gels hydroalcooliques fabriqués par plus de 40 fabricants à des prix très abordables, et des médicaments comme l’hydroxychloroquine disponible en quantités suffisantes. Un projet de fabrication de tests sera bientôt lancé.

Quelle appréciation faites-vous du confinement total à Blida, épicentre de la propagation du coronavirus et de la réponse de ses structures médicales ?

Le confinement de Blida et la réponse de ses structures médicales ont été à la fois exemplaires et salutaires, grâce à la mobilisation de tous les acteurs de notre riposte. Je pense au comportement de notre population malgré les contraintes, et à l’action déterminée, malgré des conditions parfois difficiles, du personnel de santé, sans oublier les forces de sécurité. Je voudrais saluer, également, les actions de solidarité et de soutien émanant de la population, des agriculteurs, des industriels et des opérateurs privés ainsi que les différents secteurs de l’État, qui, avec l’ensemble des acteurs de ce dispositif de lutte, nous ont permis de limiter l’ascension de la courbe de cette épidémie.

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Pourquoi les statistiques ne sont pas présentées sous forme de bilan quotidien, car souvent elles se chevauchent sur plusieurs journées ?

Depuis le début, et à l’instar de nombreux pays, notre pays a présenté un bilan quotidien qui rapporte notamment le nombre de nouveaux cas confirmés, le nombre de décès confirmés et, bien sûr, le nombre cumulé de ces cas qui additionne le bilan du jour aux bilans précédents.

Cependant, il est arrivé que des résultats du laboratoire de certains cas dépistés à travers le territoire national n’étaient pas reçus dans la journée, aussi, il nous a fallu, alors, par souci de transparence, intégrer les quelques résultats tardifs dans notre bilan quotidien suivant.

Nombre de praticiens spécialistes et généralistes privés ferment leur cabinet, avançant le manque de moyens de protection. Comment rétablir la combinaison entre médecine de ville et hôpitaux publics pour faire baisser la pression sur ces derniers ?

Comme partout, le sentiment de peur et d’exposition à un risque nouveau a conduit certains praticiens à interrompre momentanément leurs activités. Mais assez rapidement et avec la disponibilité des moyens de protection, beaucoup de médecins libéraux ont rouvert leurs cabinets. Pour certaines spécialités comme la chirurgie dentaire, fortement exposée, les praticiens se sont organisés, à tour de rôle, pour prendre en charge les urgences. Je profite pour saluer les praticiens du secteur privé qui ont tenu à apporter leur contribution et pour certains de façon bénévole.

Le personnel soignant est en première ligne. Il a auparavant mené plusieurs mouvements sociaux pour exiger une meilleure prise en charge socioprofessionnelle. De quelles mesures bénéficiera-t-il ?

L’amélioration des conditions socioprofessionnelles du personnel de santé fait partie de nos priorités absolues. D’ailleurs, le président de la République, lors de la célébration de la Journée mondiale de la santé, le 7 avril dernier, a tenu à adresser ses salutations de considération et de reconnaissance à l’ensemble du personnel de santé pour ses sacrifices. Déjà et durant cette crise sanitaire, le président de la République a annoncé plusieurs mesures allant dans le sens de l’amélioration des conditions socioprofessionnelles du personnel de santé. Il s’agit de la prime Covid-19, de l’abolition du service civil et de la refondation de notre système national de santé dont le personnel de santé en constitue le pilier fondamental.

Justement, et selon vous, le système de santé algérien « a montré ses limites », notamment avec une gratuité de soins qui n’a pas « reflété l’équité demandée ». Quelles sont les pistes pour réformer la santé en Algérie ?

Devant cette crise sanitaire brutale, tous les systèmes de santé dans le monde, même les plus solides, ont été ébranlés. Notre système de santé, riche d’une longue expérience avec des succès indéniables, se trouve, actuellement, confronté à plusieurs défis. Ceux-ci sont autant de pistes pour réformer notre système de santé, qui a fait preuve d’une certaine résilience.

Il s’agit non seulement du défi planétaire des menaces sanitaires émergentes de portée internationale, comme l’actuelle pandémie, mais également des défis liés aux conséquences de notre transition sanitaire qui a combiné, en premier lieu, la transition épidémiologique avec un recul spectaculaire des maladies endémiques, dont il faudra préserver les acquis, et une ascension régulière des maladies chroniques qu’il faudra prévenir ; en deuxième lieu, la transition démographique avec l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population avec toutes ses implications ; et enfin, la transition socio-économique avec un changement dans le mode de vie et une progression de la sédentarité qui constituent autant de risques pour la santé.

Ces pistes de réformes devront également prendre en compte la nécessité, d’une part, de la maîtrise de l’information et des technologies de la communication, de nature à assurer une détection précoce et une riposte rapide à tout phénomène à potentiel épidémique et une facilitation de la communication entre les différents intervenants à tous les niveaux, et d’autre part, l’introduction des nouvelles technologies en matière de santé dans la mesure où elles offrent d’immenses perspectives en termes d’amélioration des prestations de santé au profit des patients algériens.

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Les deux autres pistes de réformes devront porter sur le financement de notre système de santé et sur le développement de la ressource humaine et de la recherche en santé qui s’imposent comme un facteur incontournable de tout développement et de tout progrès, et ce, d’autant qu’ils constituent l’un des meilleurs investissements en santé dans l’amélioration de la qualité des prestations de soins et des activités de prévention garant d’une meilleure prise en charge des problèmes de santé de la population algérienne.

Quelles seront les conséquences de la baisse des revenus du pays en pleine chute des prix du pétrole sur le système de santé ? Doit-on s’attendre à une baisse du budget de la santé ?

Les mesures nécessaires pour faire face à la chute des prix du pétrole ont été prises lors du conseil des ministres, tenu il y a deux mois environ, sous la présidence du chef de l’État. L’Algérie avait alors pris ses précautions. Parmi les différentes mesures urgentes prises, il a été question, non seulement, du maintien des dépenses relatives au secteur de la santé, avec le renforcement des moyens de lutte contre la propagation de l’épidémie de coronavirus et les maladies épidémiques en général, mais également du maintien du projet relatif à la réalisation d’hôpital anti-cancer à Djelfa témoignant, si besoin, de l’intérêt accordé au secteur de la santé dans son fonctionnement et dans ses investissements.

Qu’en est-il de la coopération avec les autres pays dans la lutte contre le nouveau coronavirus, par exemple avec vos voisins d’Afrique ?

Cette question, notamment pour notre région africaine, est cruciale compte tenu de la vulnérabilité des systèmes de santé vis-à-vis d’une telle menace qui n’a épargné aucun système de santé aussi solide soit-il. Cette coopération s’est actuellement traduite par le partage des expériences africaines que nous avons eues, à travers différentes téléconférences, organisées avec l’OMS mais aussi avec la Chine.

Qu’est-ce que cette crise va changer, aussi bien socialement que sanitairement, en Algérie ?

Il est prématuré de répondre à cette question dans tous ses aspects. Cependant, une première mesure a été déjà prise par le président de la République, il s’agit de la refondation de notre système de santé et la création de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire. Dans ce cadre, il s’agira, notamment, de mettre en place un système efficace de surveillance épidémiologique avec des mécanismes locaux d’alerte précoce et de riposte rapide, et un dispositif central de suivi en temps réel de l’évolution de la situation sanitaire du pays.

À titre personnel et en tant que médecin en contact avec vos collègues sur le terrain, comment vivez-vous cette crise ?

À peine installé dans mes nouvelles fonctions que me voilà confronté à une crise sanitaire mondiale brutale de grande ampleur. Ma réaction a été à la fois celle du responsable et du professionnel de santé qui s’est attaché tout d’abord à être à l’écoute de tous les acteurs de ma famille de la santé. Je me suis attelé à inviter et rencontrer chaque jour, avec les membres du comité scientifique, tout ce que mon pays compte comme experts et professionnels du terrain investis dans cette lutte commune. Tout comme j’ai tenu à aller à la rencontre de tous ces hommes et femmes en blanc qui donnent, chaque jour, le meilleur d’eux-mêmes pour préserver la santé de nos citoyens.

De tout cela, je retiens, en ma qualité de médecin, que cette crise vient rappeler à chacun d’entre nous la nécessité de considérer la santé et le bien-être comme une priorité pour tous sans aucune forme de discrimination, et de témoigner à toute la famille de la santé toute la reconnaissance et le respect qui lui sont dus.

Source: Le Point Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée


Tribune d'Afrique

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