Algérie : la justice civile au-dessus de la tête de Saïd Bouteflika

Saïd Bouteflika

Déjà lourdement condamné par un tribunal militaire, le frère et conseiller du président déchu algérien pourrait à nouveau comparaître dans trois affaires pendantes.

Le frère cadet d’Abdelaziz Bouteflika a été condamné à 15 ans de prison pour « complot » visant à « porter atteinte à l’autorité de l’État et de l’Armée ». Il avait été arrêté le 5 mai 2019 en compagnie des deux ex-patrons des services secrets, les hauts gradés Mohamed Mediène et Athmane Tartag. Selon plusieurs sources et médias locaux, l’ex-puissant conseiller spécial serait incessamment rattrapé par la justice civile. Trois « affaires » semblent converger vers cette possibilité. En premier lieu, et d’après une investigation du quotidien El Watan, « au plus haut de l’État, la décision pour le déférer devant un tribunal civil a été entérinée, depuis quelques semaines ». Citant des sources judiciaires, le journal indique qu’« il y a matière à le faire juger ».

Débusquer sa « position de déni »

« Tous les hommes d’affaires et les deux anciens Premiers ministres l’ont mis en cause dans toutes les décisions prises et qui leur ont valu d’être condamnés […]. Son nom apparaît dans toutes les affaires jugées jusqu’à maintenant et celles qui sont encore en instruction aussi bien au niveau de la Cour suprême que dans les autres juridictions… » explique cette source à El Watan. Saïd Bouteflika, lui, reste « dans une position de déni. Il refuse de répondre aux questions relatives à sa mise en cause par les hommes d’affaires et qui lui ont été posées en tant que témoin ».

Fin juin, l’ancien patron des patrons, Ali Haddad, ami de Saïd Bouteflika, a été condamné à 18 ans ferme pour « obtention de privilèges, d’avantages et de marchés publics en violation de la législation, dilapidation de deniers publics, abus de fonction, conflit d’intérêts et corruption dans la conclusion de marchés publics ». Les deux ex-Premiers ministres de Bouteflika, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ont été condamnés chacun à 12 ans de prison alors qu’ils purgent déjà une lourde peine pour d’autres affaires de corruption.

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Mais au-delà de son rôle de « facilitateur » ou de « protecteur » de ses amis oligarques, certaines sources pointent aussi sa gestion politique en tant que conseiller spécial du chef de l’État.

Identifier ses actes de président-bis

La justice pourrait donc s’intéresser aux « instructions qu’il a données durant tout le quatrième mandat de son frère, en lieu et place de ce dernier, qui était malade et éloigné de la gestion des affaires du pays, mais aussi de l’éventuelle usurpation de pouvoir, dans le cas où il s’est avéré qu’il a agi à l’insu de son frère, de sa relation avec les hommes d’affaires qui avaient la mainmise sur des secteurs d’activité économiques, bénéficiant d’avantages indus, mais surtout faisant et défaisant la politique du pays, notamment sa législation, taillée comme un costume pour eux », détaille une source judiciaire dans les colonnes d’El Watan.

Pour rappel, le jour même de la démission d’Abdelaziz Bouteflika le 2 avril 2019, un collectif de citoyens avait déposé une plainte contre Saïd Bouteflika pour « usurpation d’identité », « faux et usage de faux ». La justice, qui a accepté le dépôt de plainte, n’a plus donné suite depuis. Lors de son procès devant la justice militaire, en février 2020, Saïd Bouteflika a assuré qu’il n’était « qu’un conseiller aux pouvoirs limités » et qu’il n’a jamais été détenteur du pouvoir et n’a jamais usurpé les fonctions de son frère.

Le débat sur l’incapacité de Bouteflika à gouverner à cause de sa maladie a été relancé par l’un de ses ex-Premiers ministres, Abdelmalek Sellal, qui, devant les juges, déclara fin juin : « En 2013, l’ancien président Bouteflika s’était retiré, et c’est moi qui dirigeais politiquement le pays. » En mars 2020, lors d’un autre procès, dit de la filiale automobile, Sellal affirma pour se défendre des accusations de corruption : « C’est une affaire politique. Le premier responsable, c’est Bouteflika. Il faut qu’il soit présent en tant que témoin. L’heure est grave. Certes le président était malade, mais il suivait au moindre détail tout ce qui se passait à travers son frère. »

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Établir des actes d’entrave à la justice

À ses deux griefs – accointance et protection des oligarques, gestion opaque des affaires de l’État à la place d’un président amoindri par la maladie – s’ajoute un troisième : les ingérences supposées de Saïd Bouteflika dans les affaires de justice. Selon le quotidien Echourrouk, le conseiller instructeur de la cinquième chambre pénale de la Cour suprême a accusé officiellement le frère du président déchu « d’atteinte à la partialité des employés du système judiciaire » et d’« entrave au travail des juges et d’influence sur les décisions judiciaires ».

Ces accusations sont nourries par la découverte de SMS adressés par Saïd à l’ex-ministre de la Justice entre 2013 et 2019, Tayeb Louh, un fidèle des Bouteflika en détention préventive depuis août 2019 pour « abus de fonction », « entrave au bon fonctionnement de la justice », « incitation à la falsification de procès-verbaux officiels, incitation à la partialité ». Les SMS incriminés comporteraient, selon Echourrouk, les injonctions du frère du président ordonnant au garde des Sceaux d’intervenir dans certaines affaires de justice. El Watan précise que les magistrats ont déjà entamé leur mission, « même si Saïd Bouteflika continue de se murer dans un silence de marbre et de faire le dépressif, pour ne pas quitter l’infirmerie de la prison militaire de Blida ».

Juger Bouteflika ? Tebboune réservé

« Pour les hautes autorités du pays, seul Saïd Bouteflika est comptable de tout ce qui s’est passé durant les six dernières années. Raison pour laquelle le tribunal de Sidi M’hamed [Alger-centre] a été saisi et sa feuille de route bien tracée », relève El Watan, alors que les appels à juger le président déchu ne cessent de se répéter au rythme des grands procès de corruption ces dernières semaines. Face au journaliste de France 24, Marc Perrelman, Abdelmadjid Tebboune s’est exprimé sur la question : « Je pense que la justice s’est prononcée. Si la justice le demande, c’est son affaire, mais pour le moment il n’en est pas question. » Selon Tebboune, « les faits avérés ne sont pas politiques et ne tiennent pas à des ordres […], c’est l’exécution qui compte ».

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Source : Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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