Afrique du Sud : un budget de rigueur pour mieux repartir

Le ministre des Finances Tito Mboweni devant les parlementaires, le 26 février 2020.© RODGER BOSCH / AFP

Face aux parlementaires, le ministre des Finances qui présentait le projet de budget n’y est pas allé par quatre chemins. L’État devra serrer la vis.

Le moment était très attendu. Ce mercredi, le ministre des Finances sud-africain, Tito Mboweni, a délivré son Budget Speech – le discours sur le budget 2020 – devant le Parlement, dans un contexte économique très critique. La semaine dernière, le président Cyril Ramaphosa l’a reconnu lui-même. La dette publique « atteint des niveaux insoutenables » et « l’économie n’a pas renoué avec une croissance significative depuis une décennie », a-t-il déploré dans son discours annuel sur l’état de la nation. Selon le Trésor sud-africain, la croissance n’a en effet atteint que 0,3 % en 2019. Et le gouvernement n’espère pas plus de 0,9 % cette année. Des chiffres qui ont conduit Tito Mboweni à choisir la rigueur.

Les fonctionnaires vont se serrer la ceinture…

Dans son discours, il a annoncé une réduction de 261 milliards de rands, 15,8 milliards d’euros, des dépenses publiques. Les plus touchés par cette coupe budgétaire ? Les agents de l’État. « Nous allons présenter une nouvelle loi pour mettre fin aux salaires excessifs dans la fonction publique […] il y a beaucoup de nettoyage à faire », a déclaré le ministre devant la presse. Leur masse salariale, qui représente plus d’un tiers (35 %) du budget public, sera effectivement amputée de 160 milliards de rands, 9,7 milliards d’euros en trois ans. Soit une baisse de 9 %. Une décision qui risque fort d’accentuer la tension entre les fonctionnaires et le gouvernement. Dès mardi, les syndicats de la fonction publique, en discussions salariales avec l’État, avaient menacé de faire grève.

Mais les fonctionnaires ne seront pas les seuls à faire les frais de la politique budgétaire de Tito Mboweni. Lors d’un point presse, le ministre des Finances a pointé du doigt certains prédicateurs religieux qu’il soupçonne d’évasion fiscale. « Vous les avez vus ? Ils nourrissent les gens de serpent […], font toutes sortes de choses folles au nom de Dieu. Et puis, vous les voyez ensuite afficher leur richesse, leurs grosses voitures dont les portes s’ouvrent dans les deux sens […]. Et ils ne paient pas d’impôts ces gars-là. Certains ont même des jets privés », s’est-il emporté. Le ministre, dont les propos ont été rapportés par le journal sud-africain The Times, a fait savoir que des experts fiscaux du Trésor avaient été mandatés pour revoir les lois régissant la fiscalité des organisations religieuses et des églises.

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… au profit de grandes entreprises qui ont besoin du concours de l’État

Si ces dernières sont donc, avec les agents de l’État, dans le viseur des autorités, d’autres pourront compter au contraire sur son soutien. Près de 60 milliards de rands, 3,6 milliards d’euros, seront en effet versés aux deux plus grosses entreprises publiques d’Afrique du Sud, South African Airways (SAA) et Eskom. Endettée à près de 27 milliards de dollars, la compagnie publique d’électricité paye plusieurs années d’une gestion calamiteuse, qui avait cours sous la présidence de Jacob Zuma. Le gouvernement fera « tout ce qu’il faut » pour assurer une production d’électricité stable, a promis Tito Mboweni.

Ces derniers mois, faute de moyens, Eskom a en effet coupé à plusieurs reprises l’électricité du réseau national qu’elle alimente à 90 %. Des délestages qui pèsent sur la population, mais aussi sur l’activité des entreprises. Mais au-delà du sauvetage de l’entreprise publique, c’est tout le secteur qui pourrait être réorganisé dans les prochaines années. « Nous avons alloué 30 milliards de rands sur 10 ans pour mener à bien la restructuration du secteur de l’électricité, a affirmé le ministre des Finances. Le déficit actuel en électricité s’atténuera […] Et il sera bientôt possible pour les municipalités d’acheter de l’électricité à des producteurs indépendants ».

Autres secteurs gagnants du budget 2020, « l’éducation et la culture, qui toucheront 396 milliards de rands pour l’année », et le « développement social », avec 310 milliards. Des portefeuilles conséquents, qui serviront notamment à la modernisation des écoles, et à l’élaboration de subventions pour l’enseignement des mathématiques, des technologies, du codage et de la robotique. Une nouvelle université dédiée aux sciences et à l’innovation pourrait également voir le jour à Ekurhuleni. Chantier sur lequel se penche également le gouvernement : la couverture de santé universelle (National Health Insurance). De plus en plus réclamée dans l’opinion publique, elle sera mise en œuvre progressivement, et couvrira l’ensemble du pays d’ici 2025.

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Pour épargner les Sud-Africains, un déficit abyssal

Pour The Times, « les Sud-Africains peuvent donc souffler ». Car parmi toutes ces mesures, aucune n’a touché directement leur portefeuille. Le Trésor a en effet décidé de ne pas augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ni l’impôt sur le revenu. Une mesure en ce sens était pourtant prédite par les économistes. Car faute de hausse des impôts, le déficit budgétaire du pays devrait ainsi atteindre son plus haut niveau depuis dix-huit ans, soit 6,8 % du produit intérieur brut (PIB), selon les chiffres du Trésor. « Un manque à gagner de 63 milliards de rands », qu’aurait pu « compenser une augmentation des taxes », explique The Times dans un autre article. La raison de cette décision ? « Le Trésor a estimé que le pays avait déjà un ratio impôts/PIB relativement élevé par rapport à d’autres pays à un niveau de développement similaire ».

Surtout, les autorités ne souhaitent pas revivre le tollé provoqué par l’augmentation de la TVA de 14 à 15 % décidée en 2018. Les syndicats avaient dénoncé la mesure, invoquant des conséquences graves pour les plus pauvres. Cette année, au contraire, les autorités ont prévu quelques allégements fiscaux. Le seuil d’exonération d’impôt passe par exemple de 79 000 à 83 000 rands par an, et une réduction du taux d’imposition est également au programme pour les entreprises. Une décision « encouragera les entreprises à investir et à accroître leur production, et améliorera la compétitivité du pays en tant que destination d’investissement », espère Tito Mboweni.

Des secteurs divers ciblés pour compenser

Pour compenser, le gouvernement ira chercher de l’argent ailleurs. Les concernés : « ceux d’entre nous qui essaient de passer un bon moment au milieu du chaos ambiant », estime le média The South African. Les cigarettes électroniques, le tabac, certains alcools, les pailles et les couverts en plastique seront ainsi davantage taxés lors du prochain exercice fiscal, en 2021. Le carburant subira le même sort, « à cause de l’inflation », a expliqué le ministre. « Les Sud-Africains devront donc payer 25 centimes (en rands) en plus par litre » dès le 1er avril 2020, écrit le journal. Une augmentation qui pourrait laisser amère la population. Mais pas Tito Mboweni. « Moins de deux ans avant de gagner la Coupe du monde, les Springboks ont perdu 57-0 contre les All Blacks, a-t-il rappelé à la tribune. Miss Univers n’a pas remporté le titre de Miss Afrique du Sud en une seule fois. Gagner demande de la patience, de la prudence et de la persévérance. »

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Source: Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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