Moussa Diao (Oryx Energies) : « La demande africaine en carburant pourrait baisser de 30 % à court terme »

Directeur général d’Oryx Energies depuis un an, le Sénégalais Moussa Diao analyse la séquence particulière que traverse l’industrie pétrolière et les répercussions de la crise actuelle sur la santé des négociants en hydrocarbures.

Pour le directeur général sénégalais du négociant international en hydrocarbures, la crise actuelle va nettement affecter – en avril et en mai – leur consommation sur le continent. Une difficulté dont se serait bien passée cette industrie bousculée par l’effondrement des cours et une logistique plus complexe et coûteuse

Jeune Afrique : L’accord « Opep ++ », signé le 13 avril, qui prévoit une baisse de la production de 9,7 millions de barils par jour à partir du 1er mai, va-t-il selon vous permettre de soutenir les cours du pétrole ?

Moussa Diao : Cette diminution de la production arrive bien tard, elle risque d’être insuffisante par rapport à la situation du marché : toute l’Europe, les États-Unis, et même l’Inde – les plus grands consommateurs –  sont confinés, ce qui signifie une baisse de la demande considérable à l’échelle mondiale.

UN EFFONDREMENT COMME CELUI-CI NÉCESSITE D’AVOIR UNE BONNE TRÉSORERIE ET DES LIENS DE CONFIANCE SOLIDES AVEC LES BANQUES

ment un groupe tel qu’Oryx Energies est-il impacté par la chute des cours ?

Pour nous, négociants de produits pétroliers, l’évolution des cours du pétrole n’a en général guère d’impact sur nos affaires, puisque nous avons des instruments financiers de couverture contre les fluctuations. Mais un effondrement tel que celui que nous avons vécu – avec un cours du brut divisé par deux en un mois [à 27 dollars le baril de Brent ce 20 avril] – nécessite toutefois d’avoir une trésorerie suffisamment étoffée, et des liens de confiance solides avec les banques.

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Qu’est-ce qui mobilise votre trésorerie ?

Les établissements financiers qui nous couvrent multiplient ce que l’on nomme les appels de marge : nous devons parfois avancer la perte liée à la chute des cours – entre le moment où nous achetons et celui où nous vendons une cargaison – tant que le produit pétrolier n’est pas payé et transféré physiquement à nos clients africains. Lorsque nous achetons une cargaison de produit raffiné, elle met, depuis l’Europe, environ quatorze jours à rejoindre un port ouest-africain comme Dakar. Or, en quatorze jours, il peut se passer beaucoup de choses sur les marchés pétroliers. Ce n’est qu’une fois la vente finale conclue en Afrique que nous récupérons la somme convenue initialement avec la banque.

Quelles sont les sociétés de négoce pétrolier menacées ?

Oryx Energies étant une société de trading reconnue, basée à Genève, cœur du négoce mondial et de ses banques, nous ne sommes guère menacés. En revanche, les négociants de plus petite taille, ou moins soutenus par leurs partenaires financiers, notamment du fait de leur localisation géographique, peuvent se trouver en difficulté.

Chez les négociants, c’est le volume qui fait la marge… La consommation africaine n’a-t-elle pas baissé avec l’épidémie ?

Il y a une diminution de nos volumes, et il s’agit de notre principale préoccupation. Jusque-là, les marchés africains étaient durablement et fortement orientés vers la hausse de la consommation, contrairement à de nombreuses autres régions du globe, dont la demande stagnait.

Sur le continent, nous ne faisons toutefois pas face à des confinements à l’européenne, drastiques, qui touchent toutes les professions et populations. La plupart des pays africains ont mis en place des mesures sanitaires renforcées, des couvre-feux et certaines limitations d’activités et de déplacement, mais pas des confinements stricts.

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Nous estimons que ces différents dispositifs ont réduit de quelque 15 % la demande en carburant sur nos marchés en mars, et qu’en avril et en mai la baisse sera d’environ 30 %. À titre de comparaison, en Europe, la demande en carburant a baissé d’au moins 50 % ! De ce point de vue-là, nous sommes moins frappés que les négociants travaillant sur les marchés occidentaux.

AUCUN ÉTAT AFRICAIN N’A JUGÉ NÉCESSAIRE DE SE CONSTITUER DES STOCKS STRATÉGIQUES DE PÉTROLE BRUT

Les mouvements de navires-cargos transportant vos produits vers ou depuis l’Afrique sont-ils entravés ?

Non, absolument pas. Le fait que la traversée Europe-Afrique d’un bateau de produits raffinés dure quatorze jours, soit le temps d’une quarantaine pour cette épidémie, nous évite de devoir attendre au port. En l’absence de cas déclarés à bord, les produits peuvent-être directement débarqués à terre.

Les capacités de stockage disponibles se sont considérablement réduites dans le monde du fait de la baisse de la demande : certains navires supertankers sont utilisés non pour transporter, mais pour stocker du pétrole. Vos coûts de transport maritime ont-ils de ce fait augmenté ?

Oui. Il y a eu une explosion des coûts de mobilisation des bateaux transportant le brut, qui sont de plus grande capacité – autour de 1 million de tonnes – que ceux que nous utilisons pour le transport de produits raffinés – de 35 000 à 80 000 tonnes. Même si ce ne sont pas les mêmes navires, l’évolution du coût des premiers a un impact sur les seconds, et nous faisons donc face à une augmentation de nos coûts de transport.

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Y a-t-il des capacités de stockage de pétrole brut ou de carburant à terre, dans les pays où vous travaillez ?

Très peu. Les quelque quatre ou cinq grandes raffineries ouest-africaines n’ont pas de stock de sécurité, que ce soit de brut ou de carburant, elles fonctionnent en général à flux tendu. Quant aux États africains, aucun n’a jugé nécessaire de se constituer des stocks stratégiques, ainsi que l’ont fait des pays comme les États-Unis ou la France.

Qu’en est-il de la logistique à terre ?

En Afrique de l’Ouest, où nous concentrons nos principales activités, il n’y a pas eu de fermeture de frontières. Les pays côtiers laissent transiter les produits pétroliers à destination de l’hinterland. Donc les produits arrivent sans encombre dans des pays tels que le Mali ou le Burkina, ou bien dans les villes de l’intérieur de grands pays côtiers.

Êtes-vous inquiet de la conjoncture pour les États et clients africains ?

La baisse de la consommation de carburant ne va pas aider les États du continent, qui récoltent une bonne partie de leurs recettes fiscales à travers celle-ci, puisque le diesel et l’essence sont lourdement taxés, particulièrement dans les pays non producteurs. Quant aux États producteurs de pétrole, ceux-ci sont déjà durement frappés par le manque à gagner tant sur les prix que sur les volumes exportés, qui ont tous deux baissé… C’est une situation préoccupante pour les gouvernements du continent.

Source: Jeune Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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