Seidik Abba : « Il y a tout une économie de la guerre autour de Boko Haram qui assure sa survie »

Seidik Abba

Dans son nouveau livre « Au coeur de Boko Haram », avec la participation de Mahamadou lawaly Dan Dano, aux éditions l’harmattan, le journaliste nigérien Seidik Abba est allé à la rencontre des repentis qui ont déserté les rangs de l’organisation armée nigériane Boko Haram. Il a recueilli leurs témoignages afin de mieux comprendre le fonctionnement de la meurtrière secte.

Créé en  2002 par le prédicateur nigérian Mohamed Yusuf, Boko Haram, qui était au départ un mouvement pacifiste, signifiant « l’enseignement d’inspiration occidentale est un sacrilège » s’est radicalisé en 2009 sous la coupe d’Abubakr Shekau après que son fondateur Mohamed Yusuf ait été tué par la police nigériane. Depuis, le groupe multiplie les tueries au sein des populations du nord Nigeria, du nord Cameroun, mais aussi du  Niger, dans la région de Diffa, ou encore au Tchad. L’insurrection armée a fait pas moins de 36 000 morts et causé le déplacement de plus de 2 millions de personnes selon l’ONU. Aujourd’hui encore, les Etat confrontés au groupe armé peinent à lutter efficacement à son encontre tant il est insaisissable et minutieusement organisé. Pour inciter ceux qui ont rejoint le mouvement à déserter ses rangs, le Niger a lancé en décembre 2016 le programme « Repentir contre pardon », qui a permis de donner une seconde chance aux ex-membres nigériens et Nigérians du mouvement. Leurs innombrables témoignages recueillis par Seidik Abba permettent de comprendre le fonctionnement de la secte de l’intérieur, mais aussi les différentes stratégies militaires qu’elle emploie, sans compter l’existence d’une économie souterraine qui garantie son autosuffisance, ou encore la brutalité de ses pratiques à l’encontre de ses propres éléments, comme ce combattant dont la main a été amputée puis plongée immédiatement dans de l’huile bouillante.

Qu’est-ce qui a tant motivé les repentis que vous avez interrogés à rejoindre Boko Haram ?

La plupart des repentis qui avaient rejoint Boko Haram appartiennent à la catégorie de ceux qui sont partis parce qu’ils n’avaient pas de perspectives d’avenir sur place. Que ce soit au nord du Cameroun, au Nigeria, au Niger, dans le bassin du Lac Tchad Boko Haram a donc trouvé un terreau favorable pour grossir ses rangs. Toutes ces régions ne sont pas favorisées par les politiques de développement des Etats, poussant beaucoup de jeunes, guidés par le désespoir, à rejoindre Boko Haram. Par exemple dans le cadre du Niger, avant même que Boko Haram ne s’y implante, des jeunes du pays allaient régulièrement rejoindre le groupe armé au Nigeria du fait de la proximité des deux Etats. Quand on a interrogé les repentis qui sont revenus, ils nous ont dit que c’est en voyant les premiers qui sont partis rejoindre Boko Haram revenir avec beaucoup d’argent et des motos, qu’ils ont eux aussi décidés de partir grossir ses rangs. Pour beaucoup de ces jeunes, sans perspectives d’avenir, Boko Haram a été comme une bouée de sauvetage. C’est surtout l’argent qui les a motivés à intégrer l’insurrection armée et non le fait religieux. D’ailleurs on constate que beaucoup de jeunes ne sont pas des fervents pratiquants de l’islam. Malheureusement c’est une fois qu’ils ont intégré Boko Haram, qu’ils ont découvert son vrai visage et que la réalité est toute autre.

Dans votre ouvrage, vous rappelez régulièrement que les repentis regrettent leurs actes et révèlent les horreurs commises par Boko Haram. Comment expliquez-vous malgré tout que le groupe armé ait toujours autant de nouvelles recrues ?

Le désespoir est dangereux. Beaucoup de ces jeunes sont perdus. On peut faire la comparaison avec ceux qui embarquent dans des bateaux pour traverser la mer. Malgré le fait qu’ils voient les images terribles de migrants en détresse à la télé, ils se disent qu’ils auront plus de chance que les autres et que cela ne peut pas pire que de rester chez eux où ils meurent à petit feu. Beaucoup de jeunes préfèrent découvrir par eux-mêmes que c’est une impasse avant de se rendre compte de la réalité malgré les nombreuses mises en garde contre les dangers qui les attendent.

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Le programme du Niger pour les repentis semble avoir donné des résultats. Jusqu’où peut-on dire qu’il est efficace ?

Il faut dégarnir Boko Haram. Et le programme mis en place par le Niger peut-être un moyen d’atteindre cet objectif. C’est une des solutions qui semble avoir prouvé son efficacité. Aujourd’hui, militairement, on ne peut pas vaincre Boko Haram car c’est un ennemi invisible. Comment voulez-vous combattre militairement un ennemi que vous ne voyez pas ? Les éléments de Boko Haram se faufilent partout au sein même de la population. Non seulement on ne connait pas leurs visages mais ils se dissimulent dans les lieux publics, les marchés…Je pense que pour lutter véritablement contre ce groupe armé, il faut redonner massivement de l’espoir aux jeunes de la région. C’est ce que tente de faire le programme repentir au Niger. Auparavant quand les jeunes partaient, ils étaient dans l’impasse car ils avaient envi de rentrer mais la peur d’être mis en prison les en dissuadait. Finalement le fait que le programme leur ait garanti qu’ils n’avaient rien à craindre et qu’une fois rentré ils ne seraient pas emprisonnés les a encouragés à quitter les rangs de Boko Haram. L’efficacité de ce programme se révèle aussi dans la formation professionnelle qui est proposé aux repentis, leur garantissant de meilleures perspectives d’avenir.

Mais le fait de soutenir les repentis en leur proposant une réinsertion professionnelle, un encadrement qui leur permettra d’aller de l’avant…Ne pourrait-il pas susciter l’incompréhension au sein notamment de la jeunesse minée par le chômage ?

Effectivement c’est la raison pour laquelle le Niger a décidé de former également les jeunes qui ne sont pas partis rejoindre Boko Haram en même temps que les repentis. Si on ne formait que ceux qui avaient rejoint Boko Haram, cela pourrait laisser penser qu’on attribue une prime à tous les repentis. Du coup avec le soutien des bailleurs de fond, qui ont compris l’enjeu et accompagnent le gouvernement, il a été décidé que pour un jeune repenti formé, on formera à chaque fois quatre jeunes du pays qui ne sont pas partis rejoindre Boko Haram.

Les actes commis par Boko Haram même à l’encontre de ses propres membres sont particulièrement cruels. Est-ce une stratégie de la terreur sciemment orchestrée par le groupe armé ?

Les actes de cruauté régulièrement commis par Boko Haram sont en effet une stratégie pour faire régner la terreur. Dernièrement une vidéo a circulé et on y voit un élément du groupe égorger une vieille femme avec un couteau. Non seulement la scène a été filmée mais la tête de la victime a été exposée comme un trophée de guerre pour terroriser la population. Ils ont réservé ce sort à cette femme en prétendant qu’elle livrait des informations à l’armée nigériane. Leur objectif est d’effrayer tous ceux qui seraient susceptibles de donner des renseignements à ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. Donc tous ceux qui seraient tentés de collaborer avec l’armée sont dans la crainte d’être exécuté. Pour comprendre la brutalité de Boko Haram envers les populations il faut voir la manière dont ses propres éléments sont traités. Pour un rien ils peuvent être exécutés ou subir les pires sévices comme un de leur combattant qui a vu sa main coupée puis plongée dans de l’huile bouillante après un procès expéditif. Ils sont sans pitié.

Est-ce par crainte qu’on comprenne son fonctionnement et ses pratiques que Boko Haram s’est toujours coupé du reste du monde…

Tout à fait. Boko Haram n’a jamais voulu qu’il y ait un regard extérieur sur son mouvement. Quand vous prenez les mouvements armés dans le nord Mali certains ont accepté qu’on les filme pour comprendre leur fonctionnement. Boko Haram a conscience que si les gens découvraient son vrai visage plus personne ne tenterait de l’intégrer. Un mouvement qui n’a pas de compassion pour ses propres combattants comment en aurait-il pour la population ? Même en cas de défaite lorsque des combattants du groupe sont tués il est ordonné aux éléments encore en vie de ne pas récupérer les corps mais de ne prendre du défunt que ce qui pourrait être utile : objet de valeur, argent, munitions… Il est très difficile de combattre Boko Haram sans services de renseignements performants capables par exemple de capter toutes les conversations dans un rayon donné. Boko Haram a compris cette faille au sein des Etats où il s’est implanté et continue d’œuvrer en toute impunité, en pillant et tuant. Parfois ils n’hésite pas à tuer les chefs de villages, prétendant qu’ils ont renseigné l’armée sur leurs positions

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Selon-vous, il y a-t-il un déficit de médiatisation sur les exactions du groupes qui dissuaderait tous ceux qui veulent le rejoindre à le faire ?

Il y a surtout un problème de méconnaissance de Boko Haram. Concernant la médiatisation, les médias ne s’y intéressent que par rapport aux statistiques, en énumérant le nombre de morts dû à Boko Haram ou encore en décrivant leurs diverses attaques. Le fait que Boko Haram enlève des gens quasiment chaque soir, dont des jeunes filles et femmes, qui sont ensuite mariées de force à ses combattants ou vendues comme esclave, n’est pas suivi. L’opinion publique s’imagine que seules les jeunes filles de Chibok, enlevées en avril 2014, ont été victimes du groupe armé. Des jeunes filles sont quotidiennement enlevées, seulement cela n’a pas le même écho que les jeunes filles de Chibok dont la captivité avait été largement médiatisé et ému des personnalités comme Michelle Obama, qui avait fait campagne pour qu’on les retrouve au plus vite.

Au départ quand Mohammed Yunus a créé Boko Haram, le mouvement était pacifiste avant de se radicaliser sous la direction d’Abubakr Shekau. Comment expliquer un tel revirement ?

Quand le mouvement a été fondé en 2002 à la frontière entre le Niger et le Nigeria, il pointait essentiellement du doigt les valeurs de l’école occidentale, qui est assimilé à la dépravation des mœurs. Le mouvement dénonçait aussi la corruption à grande échelle menée par l’élite nigériane, qui voyageait en jet privée alors que la majorité de la population était pauvre. Mohammed Yunus expliquait aux gens que tout cela venait de l’école occidentale, multipliant les prêches, allant de mosquée en mosquée, recrutant des éléments. Les rangs du mouvement ont commencé alors à grossir peu à peu. Quand le Nigeria a décidé de réagir en 2009 face au mouvement, il était déjà trop tard. Les autorités ont laissé Boko Haram se développer pendant sept ans, lui laissant largement le temps de s’installer et de se construire.

Comment expliquez-vous une réaction aussi tardive de la part de l’Etat nigerian qui dispose pourtant de services de renseignements ?

Comme dans beaucoup d’Etats en Afrique, les autorités ne prennent conscience d’un problème que quand il est déjà trop tard. Lorsque les autorités nigérianes ont décidé de réagir elles l’ont fait de manière disproportionnées ce qui a aggravé les choses. Le gouvernement a débuté sa répression contre Boko Haram à Kanama, dans un petit village de Maiduguri, tuant 800 personnes et exécutant sommairement le fondateur du mouvement Mohamed Yusuf, alors qu’il venait d’être arrêté par l’armée. Donc sans s’y attendre il a mis le feu aux poudres et finalement beaucoup de gens ont décidé de rejoindre le mouvement pour se venger de ce qu’ils considéraient comme une injustice à leur encontre parce qu’on a tué un de leur parent et qu’on a touché à leur village. Donc même les gens qui pouvaient les aider à arrêter Boko Haram ont été tué. La réaction du gouvernement tardive et disproportionnée a entrainé un engrenage puisque Boko Haram se radicalise et choisit la violence, en attaquant les casernes, les gendarmeries. C’est d’ailleurs de cette manière qu’ils se sont fait leur premier arsénal de guerre en récupérant les armes dans les casernes qu’ils attaquaient.

Les Etats confrontés à Boko Haram évoquent régulièrement l’idée d’une coalition militaire contre le groupe armé. A ce jour rien de concret n’a émergé. Pourquoi ont-ils autant de difficultés à s’entendre dans cette lutte et à faire face à ce groupe armé ?

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Il y a en effet des intentions, des proclamations de ces Etats pour lutter ensemble contre Boko Haram. Mais concrètement il n’y a pas de coordination des services entres eux ni de partage de renseignements ou encore d’état major conjoint pour que la lutte contre le groupe armé soit efficace. En attendant, Boko Haram se joue des frontières et a la voie libre dans toutes les zones où il est implanté. Il y a une grande faiblesse au niveau de la coopération régionale qui n’a en réalité pas de stratégie globale. Chaque pays a son propre contingent et combat dans son coin. Et ça ne marche pas. Ce qui est d’autant plus grave c’est que Boko Haram a compris que les armées ont des habitudes. Le mouvement œuvre donc surtout la nuit car il sait que les forces nationales n’ont pas les moyens techniques pour combattre la nuit et de voir les mouvements de leurs ennemis. Boko Haram profite ainsi de cette faille pour attaquer des villages entiers la nuit et repart comme si de rien n’était avant le lever du jour. La réponse des Etats face à Boko Haram n’est pas adaptée et si on ne l’adapte pas au plus vite rien ne changera.

Boko Haram a mis en place une économie souterraine pour assurer sa propre subsistance. Comment cela marche concrètement ?

Boko Haram a profité d’une situation économiquement favorable et dynamique au sud du Niger qui commerçait déjà avec le Nigeria, bien plus d’ailleurs qu’avec le reste du Niger. Quand Boko Haram s’est implanté il a mis en place tout une économie soutteraine, pour assurer son autonomie, en trouvant par exemple ses propres fournisseurs en tout genre, en pièces détachées pour ses voitures, ou en essence… Tous ces fournisseurs au sein de la population commercent avec Boko Haram et n’ont pas intérêt à ce que le groupe armé disparaisse car cela n’arrangerait pas leurs affaires. A côté de cela, Boko Haram a aussi ce qu’on appelle des intermédiaires qui vont revendre par exemple dans les marchés le butin de guerre, comme du bétail, obtenu lors des attaques dans les villages. Comme les combattants de Boko Haram ne peuvent pas vendre cela eux-mêmes ils le confient à des intermédiaires qui récupèrent une commission une fois la tâche effectuée. Il y a tout une économie de la guerre qui s’est créée autour de Boko Haram qui brasse de l’argent et profite à des personnes au sein de la population qui gagnent leur vie ainsi.

Vous voulez dire qu’il y a au sein des populations beaucoup de personnes qui vivent de l’économie soutteraine créée par Boko Haram ?

Il y a ceux qui gagnent de l’argent en achetant des choses moitié prix à Boko Haram pour les revendre ensuite au prix standard dans des marchés et ceux qui travaillent pour Boko Haram en revendant sa marchandise. Certains commerçants n’hésitent pas à acheter à Boko Haram du bétail à moitié prix pour ensuite le revendre au prix standard, leur permettant d’avoir des bénéfices. Donc ceux qui profitent de cette guerilla instaurée par Boko Haram sont nombreux. La stratégie d’autosuffisance de Boko Haram a été payante, lui garantissant sa pérennité. Parfois on entend des spéculations sur le fait que Boko Haram reçoit de l’argent des pays du golfe. Mais à ce jour cela n’a pas été concrètement prouvé. Ce qui est avéré en revanche c’est son autofinancement qui lui a permis de gagner de l’argent constamment. Il y a toute une logique économique au sein de Boko Haram. Dans le Lac Tchad, par exemple, le groupe armé taxent les pécheurs qui y pêchent pour assurer leur survie et celle de leur famille. Par exemple, pour l’équivalent d’un carton de poisson pêché, les pêcheurs sont contraints de payer 1000 nairas. Tout cela montre bien que contrairement aux idées reçues, Boko Haram est loin d’être composé d’illuminés. ils ont une stratégie bien définie, qui assure leur pérennité.

Propos recueillis Assanatou Baldé, Paris, Afrika Stratégies France

Tribune d'Afrique

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