À Madagascar, un contre-la-montre pour tenter de limiter la crise sociale

Le président Andry Rajoelina, lors d’une opération de test au coronavirus, à Antananarive le 31 mars 2020. © DR / Présidence de la République de Madagascar

Pour atténuer le choc économique provoqué par le confinement, en particulier dans le secteur informel, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures, dont des distributions de nourriture. Un véritable contre-la-montre face à la montée de la crise sociale. 

Le dos courbé sous le poids, et la mine satisfaite, ils repartent un à un du parvis de la mairie d’Antananarivo, où ils viennent de recevoir leur colis d’aide alimentaire et d produits de base : 35 kilogrammes de riz, farine, haricot savons… Ces jours-ci, c’est au tour des chauffeurs de taxi et de bus de se presser ici. Tous sont au chômage forcé, et n’ont plus aucun revenu. « Avec ça, on peut tenir deux semaines à cinq ou six personnes », espère Aina, l’un des 10 000 conducteurs concernés.

NOUS TRAVAILLONS JOUR ET NUIT POUR TROUVER DES SOLUTIONS DE SOLIDARITÉ SOCIALE

Au total, le président Andry Rajoelina a annoncé la distribution de 240 000 de ces « paniers », pour un budget de 10 milliards d’ariary (2,5 millions d’euros). Les bénéficiaires ? Les plus modestes : personnes âgées, marchands de rue, prostituées… « Nous travaillons jour et nuit pour trouver des solutions de solidarité sociale », a promis le président malgache, lors d’un discours télévisé, le 24 mars. Avec ce programme, les autorités espèrent limiter l’impact social du choc du confinement décrété pour contenir la propagation du coronavirus.

Éviter l’embrasement

Le pays comptait, au 1er avril, 54 cas confirmés et aucun mort. Et depuis le 23 mars, à Antananarivo et à Tamatave, plus grand port du pays, les magasins non essentiels sont fermés. Tous les transports de personnes sont interdits. Les gens sont priés de rester chez eux.

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Conséquence immédiate : les prix ont flambé, parfois de 100%. Beaucoup, qui vivent au jour le jour, ne peuvent donc plus se nourrir. « Le défi est immense et la situation volatile. Sans les distributions de nourriture, il y aurait un risque d’explosion sociale », estime Juvence Ramasy, professeur en sciences politiques. Les tireurs de pousse-pousse ont d’ailleurs déjà pris la rue à Tamatave , le temps d’une manifestation pour réclamer plus d’aides.

Pour éviter l’embrasement, l’exécutif s’est engagé dans une course contre-la-montre. Outre les dons alimentaires, les autorités ont renforcé les « Tsena Mora », littéralement les « marchés pas chers ». On y vend, trois matins par semaine, du riz et de l’huile subventionnés, à des tarifs entre 25% et 50% moindre que ce que l’on trouve dans le commerce non régulé. Il en existe 79 dans la capitale, et 200 dans tout le pays. 

« À chaque distribution dans le cadre des « Tsena Mora », on touche environ 900 000 Malgaches, si on compte 4 enfants par foyer », calcule Dera Zafindravaka, le responsable de ce programme rattaché à la présidence. Des nouveaux points de vente devraient être ouverts bientôt, pour répondre à une demande qui augmente sans cesse.

Réseaux citoyens

Un cycliste porte un masque pour se protéger du coronavirus, dans une rue d'Antananarivo, le 22 mars.

Les sans-abris bénéficient pour leur part d’une prise en charge par la Commune urbaine d’Antananarivo (CUA), en collaboration avec la présidence et le ministère de la Population. « Nous avons déjà recueilli 921 personnes et nous leur fournissons de la nourriture, des soins, des vêtements », détaille à Jeune Afrique le Dr Hajatiana Raharinandrasana, directrice des actions sociales de la CUA.

La mairie s’appuie aussi sur des réseaux citoyens, tels que « Solidarité Madagascar », créé au début du confinement. En sept jours, ce collectif a récolté de nombreux dons en nature et près de 13 000 euros via des cagnottes en ligne. « Nous commencerons à distribuer 1 000 kits alimentaires cette semaine, puis nous étendrons notre action à d’autres villes et sur les routes, où nombreux sont ceux qui fuient la capitale à pied », annonce Dominique Rasanjison, l’un des responsables du collectif.

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Mais pour leur grande majorité, ces aides ne concernent pour le moment que les personnes dûment répertoriées. Les chauffeurs de taxi doivent présentent leur licence, les marchands, leur patente. « Je n’ai pas mangé depuis hier. Mes enfant son plus… Quand est-ce qu’ils vont s’occuper de nous ? », s’interrogeait ainsi Rija, coiffeur non formalisé, rencontré en marge de la distribution de denrées à la mairie de la capitale.

L’informel en première ligne

Andry Rajoelina a annoncé, le 30 mars, que les travailleurs informels seraient recensés et aidés. Mais la tâche est immense : 93 % des actifs occupés exercent leur emploi principal dans le secteur informel, selon les derniers chiffres de l’Institut national de la statistique (Instat) et du Bureau international du travail, datant de 2012.

Ailleurs dans le pays, la précarisation sociale gagne. Dans certaines villes, qui ne sont pas encore officiellement en confinement, les autorités locales ont décidé de fermer des marchés l’après-midi ou de restreindre les  transports, alors qu’aucun don étatique de nourriture n’y est encore effectué…. C’est notamment le cas à Ambalavao, Manakara, Ambatondrazaka, Fianarantsoa et Antsirabe. Et même à Brieville où se trouve l’entreprise minière d’Etat Kraoma, en crise, qui ne paye déjà pas ses employés depuis trois mois…

La crise pourrait frapper rapidement les salariés du secteur formel, où les entreprises sont durement touchées. C’est le cas pour les 44 000 travailleurs du tourisme, pour les 15 000 employés des centres d’appels, qui touchent en moyenne 150 euros par mois, trois fois le salaire minimum légal. A Madagascar, comme ailleurs, la course contre la montre face à la crise sociale ne fait que commencer.

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Source: Jeune Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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